Le 'DE REGNO' de SAINT THOMAS D'AQUIN : introduction


« Du gouvernement des princes »




Un ouvrage actuel ?


Quel intérêt peut présenter aujourd’hui le De Regno de saint Thomas d’Aquin ?

N’est-il que le témoignage d’un idéal révolu de Chrétienté médiévale ou simple élément de l’Histoire des doctrines ?

Tous s’accordent à reconnaître la gravité de la crise qui agite le monde et le désarroi des autorités politiques et religieuses qui le gouvernent, en dépit de leurs discours iréniques. Pouvons-nous trouver des éléments de solution chez le Docteur Commun ? A-t-il quelque chose à nous dire aujourd’hui ?



Il faut certes prendre garde à exposer sa pensée, sans anachronisme ni extrapolation, sans le solliciter au point d’y voir des réponses à des questions qui lui sont étrangères. Mais, d’autre part, la richesse et la validité permanente de sa doctrine, maintes fois rappelée par le Magistère de l’Église doit nous permettre de l’appliquer aux problèmes contemporains.

« L'immense péril dans lequel la contagion des fausses opinions a jeté la famille et la société civile est pour nous tous évident. Certes, l'une et l'autre jouiraient d'une paix plus parfaite et d'une sécurité plus grande si, dans les académies et les écoles, on donnait une doctrine plus saine et plus conforme à l'enseignement de l’Église, une doctrine telle qu'on la trouve dans les œuvres de Thomas d'Aquin. 

Ce que saint Thomas nous enseigne sur la vraie nature de la liberté, qui de nos temps, dégénère en licence, sur la divine origine de toute autorité, sur les lois et leur puissance, sur le gouvernement paternel et juste des souverains, sur l'obéissance due aux puissances plus élevées, sur la charité mutuelle qui doit régner entre tous les hommes; ce qu'il nous dit sur ces sujets et autres du même genre, a une force immense, invincible, pour renverser tous ces principes du droit nouveau, pleins de dangers, on le sait, pour le bon ordre et le salut public. » [1]

On constate partout une crise de confiance par rapport aux institutions actuelles, de moins en moins crédibles. Vouloir remédier à des situations injustes par suite de la défaillance ou de la perversité des institutions elles-mêmes par le moyen de simples réformes peut-être utile à court terme ; mais cela ne sera pas durable.


Trois difficultés se présentent, principalement, quant à sa réception.

  • Tout d’abord, c’est qu’il s’agit d’un écrit de circonstance, d’une sorte d’exposé pratique, destiné non pas à une diffusion générale, mais adressé à une personne bien précise, à savoir, probablement, Hugues II de Lusignan (1253-1267), roi de Chypre. L’œuvre politique n’y est donc pas envisagée dans toute son universalité, mais l’exposé est forcément simplifié et adapté aux conditions particulières du destinataire, à la manière d’un compendium. En outre, saint Thomas ne l’a pas achevé ; il est interrompu au c.8 du livre II (vraisemblablement de par la mort prématurée du destinataire [2], alors que l’auteur a précédemment annoncé quatre livres [3]. En conséquence on ne saurait prétendre y trouver un exposé complet de la philosophie et de la théologie politiques de saint Thomas. Un tel ouvrage présente des simplifications et des raccourcis. Faute de le référer à l’ensemble de l’œuvre du grand docteur on s’expose à des simplismes, voire à des contre-sens.

  • Une deuxième difficulté, inhérente à tout texte ancien, est que saint Thomas écrit dans un contexte culturel et politique fort différent du nôtre. Il présuppose chez ses lecteurs des notions et des principes alors spontanément et universellement reçus. Il y a donc de nombreux ‘non-dits’ qu’il faut expliciter sous peine de malentendu.

  • Une troisième difficulté, enfin, et c’est même un premier ‘non-dit’, est que la philosophie et la théologie politiques traitent d’un domaine pratique et contingent, et non pas spéculatif et nécessaire. Dans les sciences spéculatives (Théologie, Métaphysique, Mathématique, Physique) les raisonnements aboutissent à des conclusions universelles et nécessaires. Les sciences pratiques, au contraire, à moins de n’en rester qu’à des questions très générales, ne terminent qu’à des conclusions probables, vraies la plupart du temps, mais non absolues. Sans exclure les principes de la Métaphysique et de la philosophie de l’homme, la Politique repose en grande partie sur l’induction et l’expérience humaine. Son objet est soumis aux incertitudes du comportement du libre arbitre. Il y a bien des vérités universelles, mais on attend de la philosophie et de la théologie politiques des conclusions pratiques dont la vérité est plus ou moins stable et universelle.

La doctrine de saint Thomas est tout le contraire d’une idéologie ; elle est empirique - bien qu’une lecture superficielle du De Regno pourrait faire penser le contraire. Il y a ici une première opposition avec les dogmatiques des idéologies modernes, qu’elles soit libérales ou totalitaires.


Lire notre article préliminaire : La science politique : une science pratique


Lire le texte du 'DE REGNO' de Saint Thomas d'Aquin...





Des articles spéciaux accompagnent la lecture tout au long des deux livres du


Ils ont pour objet de préciser un certain nombre de notions de philosophie pour le lecteur qui ne serait pas un familier de ces sujets et de la pensée du saint docteur. Des indications bibliographiques seront publiées à la suite de l'ouvrage, pour permettre à ceux qui le désirent d'approfondir la philosophie de saint Thomas d'Aquin en matière politique.

Lire notre article préliminaire
:
La science politique : une science pratique
La traduction a été effectuée sur l’édition léonine (tome 43 des Œuvres complètes, Editori di San Tommaso, Roma, 1979). Nous en avons suivi - hormis de légères retouches - la division en livres et en chapitres. Les sous-titres sont du traducteur. L’édition du RP Piazzi (1953) se trouve parmi les Opuscula Philosophica, Marietti, 1954).
L’ouvrage est en vente ici.




[1] Léon xiii, Aeterni Patris

[2] H.-D. Dondaine, Préface de l’édition Léonine, p. 424.

[3] « Inachevé, peut-être accidenté, reconnaissons que cet opuscule se présente dans des conditions un peu difficiles ; elles imposent prudence et discrétion dans le recours à son texte comme expression de la pensée de l’auteur. »
H.-D. Dondaine, Préface de l’édition Léonine, p. 424.