LA TRADITION




D’APRÈS LA PHILOSOPHIE


Cette étude de la notion de ‘Tradition’ est conçue d’abord pour poser les jalons indispensables à un approfondissement théologique. L’intérêt d'une telle étude apparaît aujourd’hui tout particulièrement dans le domaine de la liturgie. C’est pourquoi la seconde partie concernant la Tradition de l’Église se trouvera sur SKITA PATRUM.

Nature et principes de la tradition
Les principes des actes humains
Cause finale
Sujet ou cause efficiente
Cause matérielle
Objet
Cause exemplaire
Propriétés de la tradition : vie ou évolution organique
Diverses sortes de traditions
Erreurs et errements dans la tradition

Suite de cette étude : La Tradition de l’Église


On connaît la célèbre sentence d’Aristote, reprise par saint Thomas d’Aquin : ‘l’homme est naturellement politique’. On pourrait tout aussi bien dire ‘l’homme est naturellement traditionnel’. Toutes les sociétés, non seulement la Cité (société politique), mais aussi de simples communautés informelles ont une tradition et sont fondées sur elle. Un peu d’attention nous fait voir que la plupart des réalités humaines ont un caractère traditionnel, c'est-à-dire qu’elles résultent d’une transmission : les mythes, les grands principes de la vie humaine, les religions, les langues, les sciences, les arts et métiers et , en un mot toute la civilisation, existent par mode de tradition.


Étymologie

Tradition vient de tradere (transmettre), qui vient lui-même de trans + dare : donner au-delà.
En grec, l’étymologie est la même : παράδοσις < παρά + δίδωμι Transmettre, tradere, étant une action on distingue :

- tradition active : l’acte de transmettre

- tradition passive : l’acte de recevoir

- tradition objective : cela même qui est transmis.

Par exemple : - enseigner la musique - recevoir l’enseignement - l’art musical lui-même.
Ces deux actes sont réciproques et simultanés et aucune tradition objective n’existe si elle n’est supportée par des hommes qui la maintiennent et la transmettent.


Nature et principes de la tradition

Les principes des actes humains

La tradition, au sens le plus général du terme, est un acte de communication entre celui qui transmet et celui qui reçoit. En quoi se distingue-t-elle d’une communication quelconque ? Comme elle est un acte humain, on le saisira en suivant l’ordre des principes de l’acte humain en général.

Tout acte humain est défini par :

- une cause finale : le but, ce en vue de quoi, l’acte est accompli ;

- un sujet : celui qui fait l’action ; ce sujet peut être dit aussi cause efficiente ;

- une cause matérielle : ce sur quoi s’exerce l’action ;

- un objet : cela même qui est fait ou imprimé dans la matière, ou produit à partir de la matière, par exemple la forme de la statue dans la pierre, une figure dans la cire ;

Il faut ajouter aussi, éventuellement, la cause exemplaire d’après laquelle l’objet est produit ou l’acte accompli ; beaucoup d’actes sont des imitations d’un acte premier exemplaire.
L’examen des traditions de toutes sortes permet d’induire les principes selon le cadre d’analyse donné par la philosophie des actes humains.


Cause finale

La cause finale d’une tradition, ce en vue de quoi des hommes transmettent à d’autres, consciemment ou non, est la continuité de l’existence et du bien commun d’une communauté. Une tradition n’est pas une communication privée entre personnes, car elle existe dans le cadre d’une communauté, dans un cadre formellement social. Une tradition peut parfois se transmettre de manière secrète, de personne à personne, mais elle se réfère toujours à quelque communauté. Ce caractère social apparaîtra aussi dans les autres causes.
Pourquoi y a-t-il tradition, par exemple, dans une communauté d’artisans ? Pour la permanence et le progrès de cet art et, partant, de cette communauté d’artisans. Pourquoi y a-t-il une tradition familiale ? Pour que, par-delà les individus qui disparaîtront, le patrimoine spirituel, culturel et … immobilier demeure. Notons à ce propos que sans tradition morale et civilisationnelle le patrimoine matériel risque fort de péricliter. Une nation peut subir comme un génocide spirituel et moral si les principes de sa civilisation, sa religion, sa littérature, son histoire sont ignorées des jeunes générations.



Sujet ou cause efficiente

Le sujet de la tradition n’est pas d’abord une personne mais bien une communauté, qui vit de cette tradition, que ce soit un État constitué, une nation non souveraine, une famille, une société artisanale, culturelle ou autre. Toute société a des usages, des coutumes, un patrimoine, qui constituent son identité. Concrètement la transmission se fait par des hommes, agissant individuellement ou de concert (qu’on pense à une école) selon les principes de cette société, ce qui implique la plupart du temps une autorité qui gouverne et authentifie cette tradition.

La cause efficiente prochaine (sujet prochain de l’action de transmettre) est une personne, qui transmet à une autre. Pour qu’il y ait tradition, et non pas simple communication, il faut que ce sujet agisse dans le cadre d’une communauté, en vertu d’un pouvoir qu’il en a reçu et de sa compétence personnelle. Sans compétence il ne transmettra rien ; sans référence à la société, il ne ne fera qu’une communication personnelle et privée. Cette autorité sociale peut avoir des origines fort diverses (nomination officielle par un prince ou un magistrat, loi, coutume, etc.). Elle peut venir de la nature elle-même, comme celle du père de famille. La relation entre celui qui transmet et celui qui reçoit est diversement appelée selon les traditions: maître / disciple, père / fils, ou autre [1]. Quel que soit le terme employé la tradition implique une inégalité, ordre qui, dans le domaine sacré s’appelle proprement ‘hiérarchique’, terme appliqué par extension au domaine profane. Cela indique une propriété très importante de la tradition : la tradition active - l’acte de transmettre - est un acte de supérieur à inférieur, non pas un dialogue à égalité, ni une recherche en commun entre personnes égales (sauf de manière apparente, pour des raisons pédagogiques ; en ce cas le dialogue est une forme d’enseignement). L’idéologie démocratique et égalitaire est ennemie de toute tradition, sauf à créer sa propre tradition à l’exclusion de toute autre. Une véritable autorité transmet une tradition. Une dictature impose une pratique et une idéologie, mais n’élève pas les hommes en leur transmettant une tradition.

Il est très important de noter aussi que le maître qui transmet a auparavant été lui-même disciple et récipiendaire de la tradition. Celui qui transmet participe en effet lui-même à la tradition : il donne son assentiment à la doctrine, il agit, il fabrique lui-même selon la tradition. Transmettre une tradition, ce n’est pas seulement énoncer ou montrer matériellement quelque fait, comme le ferait un historien ou un guide de musée ; ce n’est pas non plus parler d’une tradition, comme un sociologue, de manière phénoménologique.

Transmettre une tradition suppose de s’y impliquer soi-même, s’y engager, de l’aimer et de s’y dévouer. On peut transmettre matériellement, exposer phénoménologiquement une tradition, sans y adhérer. En ce cas il n’y a pas formellement et réellement de tradition.


Cause matérielle

La cause matérielle est celui qui reçoit la tradition. Il vient après celui qui transmet, tant dans l’ordre du temps que dans l’ordre de la dignité. Comme celui qui transmet, il participe lui-même de la tradition et s’y implique. La réception implique une foi, une croyance, une confiance, une soumission, tant envers celui qui transmet que dans la tradition elle-même [2]. Recevoir par simple jugement propre sur les choses et les personnes, ce n’est pas recevoir une tradition, c’est faire œuvre de recherche et de découverte personnelle. Même si la tradition inclut des raisonnements scientifiques, sa réception ne résulte pas d’une démonstration, mais d’une soumission, d’une ‘humilité’, d’une attitude réceptrice.

Recevoir une tradition implique une attitude intérieure de réception et de confiance, une attitude de piété envers ceux qui ont précédé. Une mentalité défiante, critique, individualiste, rend impossible toute tradition. La recherche de l’innovation, le mépris de l’ancien, l’esprit d’insubordination ruinent toute civilisation. Mais la réception n’est pas non plus acte aveugle et irrationnel ; elle est un acte libre, rationnel et volontaire, qui implique à la fois soumission et jugement personnel. Sans soumission il y aurait recherche et conclusion propre, non pas réception, mais sans jugement personnel l’acte ne serait pas intégralement humain et vraiment libre. Une direction autoritaire qui n’éduque pas l’esprit, mais qui impose une pratique et une idéologie de manière violente ou par domination psychologique ne transmet pas une tradition ; elle fabrique des automates.
C’est pourquoi cette soumission importe l’exercice de la prudence ; elle est préparée, disposée par des raisons ou des motifs. Celui qui reçoit de manière prudente peut se demander légitiment si ce qui lui est transmis est vraiment conforme à l’original, à la cause exemplaire institutrice de la tradition, si l’auteur qui transmet est fidèle, si la tradition est authentique. La critique peut donc intervenir, mais par mode de disposition et d’apologétique, non par mode de détermination.


Objet

L’objet de la tradition est ce qui est transmis : vérité spéculative ou pratique, morale, procédé de fabrication (dans les arts et métiers). Notons bien que toutes ces choses sont des réalités vitales dont les documents et monuments ne sont que les supports ou les instruments de la tradition [3]. Celle-ci est une communication entre personnes vivantes, non un simple transfert matériel ou une édition de documents. Il s’agit de faire entrer le sujet récepteur dans une communion vitale avec un objet, non d’en avoir seulement une connaissance théorique. Pour donner quelques exemples : une langue est parlée et ne se réduit pas à la grammaire, ni même à la lecture ; connaître une littérature implique de parler la langue des auteurs [4].

Bien qu’une tradition puisse comprendre tout un ensemble de réalités fort diverses (qu’on pense à une tradition nationale ou religieuse) et soit donc matériellement complexe, elle est formellement une par son objet (sinon il y aurait plusieurs traditions). Pour ne pas être réduite à une collection d’habitudes, de comportements et des choses, elle a un ‘esprit’, un ‘principe’ unifiant et vital. C’est ce principe qui fait qu’une tradition peut inventer et s’adapter, et non pas seulement répéter. Le formalisme consiste à pratiquer une tradition sans en avoir l’esprit, sans la comprendre, en la réduisant aux règles visibles et extérieures. Pour reprendre l’exemple de la langue, celui qui l’a reçue est capable de s’exprimer sans recours constant à la grammaire et aux dictionnaires.

Du point de vue de l’objet on a coutume de distinguer Tradition et traditions. La Tradition serait ce qui constitue l’essentiel, ce qui demeure identique ; les traditions seraient ce qui est variable et plus ou moins secondaire. Mais qui ne voit que cette distinction, bien que légitime dans les principes, se trouve concrètement déficiente ? La Tradition n’est pas une réalité abstraite ; elle est inséparable des traditions, de même qu’une substance n’existe pas sans ses accidents. Sans les traditions qui la véhiculent la Tradition disparaît. Une telle distinction par sic et non ne convient donc pas. En revanche, semble plus conforme à la réalité une distinction d’ordre, dont le principe est la Tradition dans son ‘noyau’ fondamental, et les ultimes analogués, les traditions tout à fait contingentes et tardives.

C’est selon cet ordre analogique que l’on peut discerner si une Tradition demeure, ou si, au contraire, elle a disparu, et qu’une autre s’est substituée en lui conservant son nom. ‘Mutation’ de soi ne signifie rien : une mutation peut être corruptrice, perfective, explicative. Bien comprendre et transmettre prudemment une tradition implique ce regard analogique, sachant distinguer et ordonner les éléments selon leur importance, mais sans exclusion ou mépris des ‘détails’ qui ‘contiennent’ et ‘véhiculent’ les principes
Une Tradition implique tout un esprit, des modes de penser, d’agir, de faire, qui ne sont pas forcément exprimables, 'conceptualisables' et analysables.


Cause exemplaire

La cause exemplaire, que nous donnons en dernier, est la plus importante. Cette cause exemplaire est identique à la première cause efficiente dans son aspect de détermination. C’est la chose ou l’action d’où la tradition tire son origine, dont elle conserve le souvenir, qu’elle rend présente et actuelle, qu’elle renouvelle. C’est, par exemple, l’acte fondateur d’une Cité (qui peut être en partie mythique, mais qui a un fondement réel), l’origine historique du drapeau d’une nation, les paroles des anciens (ce que les anciens grecs exprimaient en disant οἱ άρχαῖοι λέγουσιν, οἱ πάλαιοι λέγουσιν, πάλαι λέγεται).
Le critère l’authenticité d’une tradition est bien évidemment la conformité à cette cause exemplaire. Cette cause peut être matériellement complexe, c’est-à-dire comporter tout un ensemble d’événements, de personnes et de choses. Au cours de l’histoire des éléments peuvent s’ajouter à la tradition primitive et y être incorporés. Une tradition peut ainsi se diviser en plusieurs courants, parfois rivaux.


Propriétés de la tradition : vie ou évolution organique

La tradition est antérieure à celui qui transmet et à celui qui reçoit, tant au maître qu’au disciple, de même que la communauté à laquelle ils appartiennent. Mais, réciproquement, la tradition ne subsiste pas ‘en soi’, en dehors de ceux qui transmettent et qui reçoivent. Elle existe dans des personnes vivantes. Elle ne peut pas ne pas en être affectée, modifiée, transformée. D’où la question de la permanence ou non d’une tradition. Comme on l’a vu, une simple continuité sociale ne suffit pas. Les mêmes personnes ou leurs héritiers immédiats peuvent opérer des changements en rupture avec le passé, tout en gardant les mêmes apparences.
Du point du vue du sujet, de la société et des personnes qui transmettent et reçoivent, la tradition est vivante. Elle n’est pas une simple conservation de biens, de documents ou d’habitudes, et requiert une relation vivante entre celui qui transmet et celui qui reçoit.

Du côté de la cause exemplaire, qui en est le premier principe, la tradition est immuable, mais elle est explicitée, adaptée, conditionnée par la vie de la communauté et des personnes. Cette évolution est dite organique ou homogène en tant que la tradition demeure la même essentiellement ; sinon elle ne demeure plus et il y a rupture de tradition.

Une tradition peut progresser ou décroître, en qualité ou en quantité, être perfectionnée ou défaillir, demeurer ou se corrompre. Elle peut être brisée puis restaurée, s’il y a une faille dans la transmission. Une tradition vivante progresse ; une tradition morte se contente de vivre sur un acquis d’habitudes.
On peut alors s’interroger sur les mutations qui affectent une tradition. Y a-t-il explicitation, adaptation, évolution d’une même tradition, ou bien corruption de par des mutations étrangères ? On peut alors s’efforcer de redécouvrir ce qui était transmis auparavant. Restaurer une tradition perdue est tout un problème. Le recours aux documents est indispensable, mais non suffisant. Il faut, dans la mesure du possible, recourir aux anciens qui ont connu la tradition vivante, recourir aussi à des traditions voisines ayant des éléments communs.

Du fait que, comme on l’a vu, la tradition est constituée de tout un ordre d’institutions qui se sont mises en place au cours de l’histoire, et ne se réduit pas à la pure cause exemplaire, la question de la permanence d’une tradition se réfère non seulement à la cause exemplaire originelle, mais à tout l’ordre antécédent. Un prétendu retour aux origines qui fait table rase de l’héritage historique est en fait une rupture de tradition.


Diverses sortes de traditions

Nous avons jusqu’à présent envisagé la tradition dans le sens le plus large du terme. Nous revenons à une vue plus concrète en considérant les diverses sortes de tradition selon leur objet.
D’après la philosophie politique les activités humaines se répartissent en trois genres:

- contempler (c'est le domaine de la connaissance et de l'amour)
- agir (c’est le domaine moral et politique)
- faire (c'est-à-dire agir sur la matière).

La contemplation est une activité purement interne ; l’action a un effet extérieur mais demeure dans l’ordre humain ; le ‘faire’ a un effet sur la matière extérieure.

On peut distinguer en conséquence trois genres de traditions :

- dans l’ordre contemplatif : traditions spéculatives, scientifiques, doctrinales ;

- dans l’ordre de l’agir : traditions politiques (gouvernement), économiques (au sens ancien ; on dirait aujourd’hui plutôt ‘sociales’), morales ;

- dans l’ordre du faire : traditions des arts et des métiers, que ce soit dans les arts libéraux (où l’intelligence a la prépondérance, comme les beaux-arts ou la médecine) ou les arts serviles (où l’activité corporelle est prépondérante, comme la maçonnerie ou l’agriculture).


Erreurs et errements dans la tradition

Les erreurs sur la tradition consistent moins dans des thèses spéculatives, que dans des attitudes pratiques, des mentalités, des tendances non explicitées et des pratiques ; c’est pourquoi il convient de parler non seulement d’erreurs (de principes) mais encore d’errements. Ils se manifestent par la réduction de la tradition à un seul de ses principes, ou à son exclusion, autrement dit par la destruction de l’harmonie et de l’ordre des principes ci-dessus exposés.

L’erreur quant à la cause finale consiste dans l’utilitarisme : dans l’intention de faire prospérer une société ou une communauté en nombre ou en biens matériels, on néglige la tradition, qui est sa vraie richesse. C’est ainsi qu’une famille renonce à son pays, à sa langue, à sa religion, à sa … morale pour des raisons matérielles ; une communauté artisanale ne vise qu’à la rentabilité et le productivité ; une société culturelle ou religieuse se dégrade en cherchant à recruter le plus grand nombre de membres. L’erreur opposée consiste à faire de la tradition un absolu, détaché de la vie concrète de la communauté, en oubliant que si celle-ci meurt ou se réduit à un petit nombre, la tradition n’existera plus.

La tradition est réduite au sujet lorsqu’on l’identifie à la simple continuité matérielle ou sociologique de la communauté. Le nom, les signes, les textes, les formes extérieures demeurent les mêmes sans l’ “esprit” qui devrait les vivifier ; les principes sont incompris, ignorés tandis que la communauté continue d’inscrire des membres dans ses registres. L’adaptation aux conditions présentes et à la diversité des membres, ainsi que la recherche du nombre, ont priorité sur la fidélité et la permanence de la tradition. Un État peut demeurer en ses frontières, garder son drapeau, peut-être sa langue, tout en perdant ses idéaux, sa culture, son identité...

L’erreur la plus fréquente est de réduire la tradition à sa cause efficiente, à savoir à l’autorité qui gouverne la communauté. On considère que la fidélité à la tradition s’identifie avec l’obéissance, qui n’en est qu’une condition instrumentale. C’est quelque chose de semblable au positivisme juridique, erreur qui consiste à identifier la justice avec les lois promulguées par le législateur, sans égard aux principes du droit, de la morale et de la politique. On attribue ainsi à l’autorité un pouvoir discrétionnaire sur la tradition, acceptant qu’elle la transforme, la refonde, sans égard à la cause exemplaire et aux enrichissements de l’histoire. La réception de la tradition est alors réduite à une obéissance aveugle sans référence aux principes ; il est évidemment plus facile de s’en remettre aveuglément à l’autorité. L’erreur opposée consiste à abandonner la tradition au gré des fantaisies de chacun. Sans autorité pour la maintenir, une tradition éclate en divers courants et se conserve difficilement dans la fidélité à ses principes.

L’erreur, ou les errements quant à l’objet, consistent à le simplifier, à le réduire à une unité univoque aux dépens de sa richesse et de sa diversité analogique. On n’y distingue pas les éléments selon l’ordre analogique, et on accorde à tous une importance et une égale immutabilité, ou bien, à l’inverse on réduit tout à certains éléments, soit les plus anciens, ou bien ceux d’une époque donnée et réputée ‘idéale’, un âge d’or.

La tradition est un fait social universel de l’humanité, inséparable de toute civilisation. La philosophie des actes humains permet d’en dégager la nature et les principes. La tradition est la communication au sein d’une communauté d’une activité spéculative, morale ou artistique qui a été établie par une cause fondatrice originelle. Cette communication n’est pas une simple répétition. Elle n’implique pas seulement l’ancienneté, ni la continuité matérielle, mais une permanence vivante à travers une succession de personnes, susceptible de perfectionnement comme aussi de dégénérescence.




L’étude de la Tradition de l’Église,

préparée par les considérations philosophiques ci-dessus,

est à lire ICI !





[1] Sur la tradition de maître à disciple cf. saint Grégoire le Grand, Livre des Dialogues, 1,1,6 ; 2,3,13.

[2] Saint Augustin développe cet argument dans le De utilitate credendi.

[3] Par exemple, les livres liturgiques ne sont pas la tradition liturgique, et il ne suffit pas de compiler des rubriques pour assimiler cette tradition : il faut la recevoir d’un maître qui lui-même pratique la Liturgie.

[4] Ainsi, on ne connaît pas la littérature ancienne sur des textes traduits. On ne connaît pas saint Thomas d’Aquin si on ignore sa langue, etc.