"Wesenmystik" dans la doctrine spirituelle de Hadewijch d’Anvers

Lire notre présentation de Hadewijch d'Anvers...

Mystique de l’essence divine

On appelle Wesenmystik, mystique de l’être ou de l’essence, une mystique dont l’objet propre est l’être divin dans son infinité, sa perfection, et en même temps son obscurité et son inconnaissance. Cette mystique serait plus justement appelée mystique de l’Un, car l’être y est vu sous cet aspect. Cette mystique est moins apparente et moins exprimée chez Hadewijch ; elle est néanmoins toujours sous-jacente. Et, en fait, on ne comprend la Brautmystik qu’en fonction de la Wesenmystik, tout comme l’être est premier par rapport à la bonté. Cette mystique s’exprime de manière abstraite et use largement des concepts philosophiques.

Unité avec Dieu

Cette mystique contemple ce que Dieu est : « Apprenez à contempler ce que Dieu est » (Lettre 1) Le but de l’âme est d’ « être Dieu avec Dieu » (Lettre 6), « devenir Dieu avec Dieu » (Lettres 17, 22, 28). « Reçois les sept dons de mon esprit, la force et l’aide de mon Père dans les œuvres parfaites de la vertu par lesquelles on devient Dieu avec Dieu et on le reste éternellement. » (Vision 1)
L’âme étant divinisée Dieu jouit en elle de son essence (Lettre 19). Et, inversement, l’âme jouit de Dieu tout en étant détachée d’elle-même. Elle se satisfait que Dieu se suffise : « dans l’esprit de Dieu, soyez heureuse qu’il se suffise, que Dieu soit à lui-même parfait amour. » (Lettre 16). Elle trouve son bien en cela même que Dieu est, laisse Dieu jouir de lui-même (Lettre 21) Elle aboutit à la fusion dans la fruition que Dieu a de lui-même, comme absorbée dans la divinité. « Celui qui veut comprendre Dieu, savoir ce qu’Il est en son Nom, en son Essence, doit être tout à Dieu, si totalement en vérité qu’il soit privé de soi. […] (Dieu) invite constamment l’homme à l’unité dans la fruition de Lui-même. […] C’est ainsi que nous adhérons à Lui par un ciment très fort, faisant un seul esprit avec Lui, parce que nous sommons le Père avec le Fils et l’Esprit-Saint — oui, les trois Personnes avec tout ce qu’elles sont. » (Lettre 22) « Celui qui est arrivé en Dieu à ce point qu’il possède l’amour et opère la sagesse dans la vérité divine, goûte souvent l’excès bienheureux comme le fait Dieu même. » (Lettre 28) « Nous fondîmes en un. si bien que je ne pouvais ni le reconnaître ni le percevoir en dehors de moi et il était en moi sans séparation et je ne pouvais le distinguer de moi. À ce moment-là, il me semblait que nous étions un sans différence. » (Vision 7).

Apophatisme

Mais « Tout ce que nous pouvons penser de Dieu, ou comprendre ou nous figurer de quelque façon, n’est point Dieu » (Lettre 12), car « la raison procède vers ce que Dieu est, par ce que Dieu n’est pas » (Lettre 18) Cette Wesenmystik est apophatique : le mystère divin est au-delà de tout langage et de tout concept, ainsi que l’expérience elle-même du mystique. L’apophatisme est un trait fondamental de la mystique dionysienne qui l’exprime souvent par la métaphore de la ténèbre lumineuse. Une œuvre anonyme anglaise du XIVe siècle en est particulièrement imprégnée : Le nuage d’inconnaissance.

« Me trouvant accueillie et illuminée dans l’Unité, je compris cette Essence et la connus plus clairement qu’on ne peut le faire ici-bas d’aucune chose connaissable, par paroles, raisons ou visions. […] Car les paroles divines sont chose que la terre ne peut comprendre : pour tout ce qui se rencontre ici-bas, on peut trouver assez de paroles en flamand, mais pour ce que je veux dire, il n’y a ni flamand ni paroles. J’ai pourtant connaissance de la langue autant qu’homme peut l’avoir ; mais pour ceci, je le répète, il n’est point de langage, et nulle expression que je sache n’y convient. » (Lettre 17) « à peine je devine un peu du Divin, car les concepts humains ne le signifient pas. » (Lettre 22) « Celui qui est resté en Dieu si longtemps qu’il a compris la merveille que Dieu est en sa Divinité, paraît souvent, aux yeux mêmes des hommes de Dieu qui n’ont pas cette connaissance : sans Dieu par excès de Dieu, instable par excès de constance et ignorant par excès de savoir. » (Lettre 28)
« Là je vis un abîme tourbillonnant très profond, vaste et très sombre. Et dans ce vaste abîme, toutes choses étaient englobées, enserrées et solidement maintenues. La ténèbre illuminait et transperçait tout. L’abîme insondable était si profond et si haut que personne ne pouvait y pénétrer. Je ne le décrirai pas : ce n’est pas le moment d’en parler. Je ne puis exprimer l’indicible. » (Vision 11) « Sur cette place il y avait un trône ; celui qui y siégeait restait invisible et inconnaissable. » (Vision 6)
C’est la jouissance dans l’ignorance. « Là je restais perdue, engloutie au-delà de toute intelligence : incapable de rien savoir, de rien voir, de rien comprendre sinon d’être une avec lui et d’en jouir. » (Vision 6)
La conséquence de ce dépassement de la raison est la contradiction des termes signifiant les qualités divines. C’est le thème de la Lettre 22 : « Il est au-dessus de toute chose et n’est pas élevé ; il est au-dessous d’elles et n’est pas abaissé ; il est en elles et n’est pas circonscrit ; il est hors d’elles et cependant compris. »

Lire la suite de cette étude sur la Mystique nuptiale chez Hadewijch d'Anvers : Brautmystik ou Minnemystik... (à paraître)