L’exemplarisme dans la doctrine spirituelle de Hadewijch d’Anvers 3)

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L’exemplarisme de Hadewijch par rapport à la Trinité sainte

Le mystère trinitaire chez Hadewijch

En exprimant de manière dynamique le mystère du Dieu un et trine, Hadewijch semble distinguer Dieu selon son Essence d’une part, et les Personnes d’autre part. Elle n’utilise pas le langage scolastique et omet de préciser la non-distinction réelle de chaque Personne avec l’Être divin[1]. « Au milieu de ses Personnes, (Dieu) exerce ses pouvoirs dans une plénitude de richesse divine. » (Lettre 28). C’est ce qu’on pourrait appeler un ‘dépassement vers l’unité’. « ‘Père, je veux qu’ils soient un en nous, comme vous et moi, nous sommes un’. Ceci est la suprême parole d’amour entre toutes celles que nous lisons dans l’Écriture. Ensuite il fit retour à l’intérieur avec ce nom qu’il avait répandu au dehors et qu’il ramenait maintenant à lui (le Père-Unité) multiplié. »[2]
La fruition est l’acte propre de l’Essence divine :
Qu’est-ce donc que la beauté de Dieu ? C’est l’être de la Déité dans l’Unité, et l’Unité dans la Totalité, et la Totalité dans la Manifestation, la Manifestation dans la Gloire, la Gloire dans la Fruition, la Fruition dans l’Éternité. (Lettre 28)
Selon la vie trinitaire, le Père engloutit le Fils : « C’est de nouveau le Père qui engloutit le Fils : telle est toujours son œuvre dont l’immensité nous effraie. » (Lettre 17) Le Saint Esprit englobe le Père et le Fils : « Il me conduisit devant la Face de l’Esprit Saint qui englobe le Père et le Fils dans l’Unité de l’Essence. » (Vision 3) De sorte que la vie trinitaire est conçue comme un flux et un reflux continuel.

Les énergies divines

Cette vie trinitaire est communiquée aux créatures. « Dieu est un grand et unique Seigneur dans l’éternité, et dans sa Divinité il subsiste en trois Personnes. Il est Père en sa puissance ; il est Fils en tant que connaissable ; il est Esprit dans sa gloire. Dieu donne dans le Père, il manifeste dans le Fils, il fait savourer dans l’Esprit. Il œuvre puissamment avec le Père, intelligiblement avec le Fils, subtilement avec l’Esprit. C’est ainsi que Dieu opère avec trois Personnes en un seul Seigneur et avec un seul Seigneur en trois Personnes ; avec Trois Personnes dans une multiple richesse divine et avec cette innombrable richesse dans les âmes ravies à l’excès, qu’il a conduites dans le secret de son Père et qu’il comble toutes de la même joie. » (Lettre 28)
« Dieu est dans ses Personnes et en ses énergies [Traduction rectifiée]. Dans ses énergies, il est au-dessus de tout infiniment, au-dessous de toute chose infiniment et autour de tout infiniment. Et au milieu de ses Personnes, il exerce ses énergies dans une plénitude de richesse divine. Ainsi Dieu est dans ses Personnes présent à lui-même dans la multiple richesse éternelle. Quelque chose de Dieu est Dieu : c’est pourquoi Dieu dans le moindre de ses dons met en œuvre tous ses énergies. Oui, quelque chose de Dieu est Dieu même, car il est tout en lui-même. » (Lettre 28)

Exemplarisme trinitaire

Les facultés humaines constituent une image de la Trinité. « Il nous a donné sa nature dans l’âme, avec trois puissances pour aimer les trois Personnes : le Père avec la raison illuminée, le Fils ou divine Sagesse avec la mémoire, et l’Esprit-Saint avec la haute volonté enflammée. » (Lettre 22)[3].
L’activité humaine et la pratique des vertus (la vie pratique et ascétique) sont à l’image des personnes qui ‘sortent’ de l’unité divine, tandis que le retour de l’âme vers Dieu, la vie contemplative et orante, est à l’image du repos de ces personnes dans l’unité de l’Essence. C’est ainsi que la Lettre 17 commence par trois distiques dont les premiers vers se réfèrent respectivement au Saint-Esprit, au Père et au Fils : « Soyez prompte et zélée en toute vertu […] Ne négligez aucune œuvre […] Soyez bonne et pitoyable à toute misère. » Au contraire les seconds vers de ces mêmes distiques se réfèrent à la vie divine dans son unité : « Les trois autres vers expriment la perfection de l’union et de l’amour : l’amour en toute justice vaque à lui-même et à nulle autre chose, — un seul Être, une seule Charité. […] Mais la juste nature de l’Unité, en qui l’amour n’appartient qu’à lui-même et n’est que pure fruition de soi, ne se livre à aucun exercice de vertu ou de bonté, ni à aucune œuvre particulière, si belle et si recommandée qu’elle puisse être — l’Unité ne prend pitié d’aucune misère, pour capable qu’elle soit de la soulager. Car en cette jouissance de l’amour, il ne peut y avoir d’œuvre que la fruition simple, par quoi la puissante et simple Déité est amour. »
La raison fait désirer l’amour, épouser la volonté de l’amour, agir et vivre par amour ; ces trois actes sont images des trois Personnes : « Il est trois choses selon lesquelles on vit pour l’Amour, selon la Trinité ici-bas et selon l’Unité là-haut. […] la raison fait désirer l’amour et la satisfaction de cet amour par les justes œuvres de charité parfaite […] C’est ainsi que vit le Fils de Dieu. Ensuite épouser à toute heure la volonté de l’Amour avec un zèle nouveau, œuvrer en toute vertu […] c’est ainsi qu’on vit le Saint-Esprit. […] En troisième lieu, on se trouve contraint par une douce violence à la constante pratique de l’amour […] c’est ainsi que l’on vit le Père. [...] Lors donc que l’on est recueilli au-dessus de la multiplicité des dons, on devient l’Unité même en qui tout est contenu. » (Lettre 30)
De même que les personnes fusent de l’essence divine et y retournent, ainsi l’âme rentre dans l’essence au-delà des personnes. Le dépassement vers l’unité se produit dans l’âme. Cette vision est dynamique, selon le ‘mouvement’ de la vie trinitaire, non pas selon une distinction absolue et ‘statique’ des personnes.
Il y a entre les Personnes divines appel et rapport d’exigence. L’appel de Dieu à l’âme est l’image de l’appel des Personnes l’une envers l’autre. « [Celui qui aime] trouve occasion de croître dans les vertus qui conviennent à l’Amour. Entendez par là ce que le Père requiert du Fils et de l’Esprit dans la fruition éternelle de l’Unité, et la dette en retour que le Fils et l’Esprit exigent du Père en fruition de la Trinité. » (Lettre 30)

Présence trinitaire dans l’âme

Le flux et reflux éternel trinitaire se diffuse dans les âmes : « lui-même et ses amis, dans une mutuelle pénétration, jouissent de la surabondance de cette bonté, s’écoulent en elle et refluent en toute plénitude. » (Lettre 12) « ceux qui n’avaient jamais expérimenté l’amour […] ne pouvaient saisir ni savourer sans distinction la Nature unique qui en eux s’épanche et reflue dans la Divinité. » (Vision 14)
Dieu m’est Totalité ; Dieu m’est présent avec le Fils dans la douceur, il s’écoule pour moi avec le Saint-Esprit dans l’abondance, il m’est totalité avec le Père dans l’excès délicieux. Ainsi Dieu m’est un seul Seigneur en trois Personnes, et trois Personnes en un seul Seigneur. Et par ces trois Personnes, il est à mon âme dans la multiple richesse divine.
(Lettre 28)
Lire la suite de cette étude sur la Mystique de l’essence divine : Wesenmystik...


[1] Cf. saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, I, 39.
[2] La sortie des Personnes et leur retour à l’Unité.
[3] Cet exemplarisme trinitaire, Hadewijch le reçoit de Guillaume de Saint-Thierry, De natura et dignitate amoris.