L’exemplarisme dans la doctrine spirituelle de Hadewijch d’Anvers 2)

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L’exemplarisme de Hadewijch par rapport à l’unité divine

Exitus ou procession des créatures à partir de Dieu

Les créatures procèdent de Dieu conformément à leurs idées exemplaires présentes en sa sagesse. « Et je reconnus avec Dieu que Dieu seul est Dieu, et que toute chose est Dieu en Dieu, et je connus chaque chose comme Dieu lorsque je suis unie à Lui en esprit. » (Vision 9) C’est-à-dire que toute chose est dans l’intellect divin, et dès lors, divine en Dieu.
Dans la Vision 6, la face de Dieu contient tout le mystère de l’œuvre du Salut parmi les hommes : « Sa face le révélait avec une telle clarté, que je reconnus en elle toutes les apparences et toutes les formes qui furent et seront jamais, dont il reçoit à juste titre hommage et service. Je vis comment chacun doit recevoir ce qui lui revient en fait de bénédiction ou de damnation ; je vis comment chacun doit être mis à sa place, pourquoi ceux qui errent loin de lui reviennent à lui, plus nobles et plus beaux qu’auparavant et pourquoi certains s’égarent et ne reviennent pas et comment certains paraissent errer mais ne se sont pas écartés de lui un instant et sont restés tout à fait fermes sans presque jamais recevoir de consolation ; et ceux qui sont demeurés depuis l’enfance à leur place, l’ont occupée dignement de sorte qu’ils l’ont gardée jusqu’à la fin. Tous ces modes d’être je les reconnus dans la face. » (Vision 6)
Cette exemplarité divine vaut donc en particulier pour chaque âme selon son existence concrète et individuelle : « Voyez-vous en Dieu dans la vérité sainte. » (Lettre 1). Chaque âme a en Dieu un ‘idéal’ à réaliser auquel doit aboutir sa vie terrestre. « Si vous voulez avoir enfin ce qui est à vous, donnez-vous à Dieu et devenez ce qu’il est. […] Ainsi vous pourrez devenir parfaite et posséder ce qui est à vous. » (Lettre 2) « Nous ne sommes pas encore devenues ce que nous sommes, nous n’avons pas saisi ce que nous avons, et nous tardons si loin encore de ce qui est à nous… » (Lettre 6)
Cet exemplarisme implique aussi, à l’inverse, la présence de Dieu dans les créatures et la jouissance qu’il en a : « Et tous ceux qui ont été et seront, ou même qui peuvent être, il jouit en eux de sa merveille aux richesses infinies en toute plénitude de gloire. » (Lettre 22)

Reditus ou retour des créatures à leur divine origine

Cet exemplarisme est dynamique et considère la vie de l’âme.
Comprenez aussi la nature profonde de votre âme et le sens même de ce mot. L’âme est un être qu’atteint le regard de Dieu, et pour qui Dieu en retour est visible[1]. Qu’elle veuille satisfaire Dieu et garder son domaine sur toute chose étrangère, dont la nature inférieure la ferait déchoir, l’âme est un abîme sans fond en qui Dieu se suffit à Lui-même, trouvant en elle à tout instant sa plénitude, tandis que pareillement elle se suffit en Lui. L’âme est pour Dieu une voie libre, où s’élancer depuis Ses ultimes profondeurs ; et Dieu pour l’âme en retour est la voie de la liberté, vers ce fond de l’Être divin que rien ne peut toucher, sinon le fond de l’âme. (Lettre 18)
Chacun fait retour à l’idéal dont il est issu, d’où les expressions : « retour à l’intégrité de votre nature » (Lettre 6), « rejoindre l’être dans lequel Dieu vous a créée » (Lettre 6). C’est-à-dire : se rendre conforme à l’idée ou au projet divin selon lequel nous avons été créés. La Vision 4 est une présentation explicite de cet exemplarisme.
Deux royaumes sont présentés à Hadewijch : le premier est celui des créatures, le second est le Christ lui-même. Dans le premier se trouve Hadewijch viatrice qui doit progresser – c'est-à-dire tendre à s’identifier - vers la seconde Hadewijch, épouse de Dieu, qui se trouve dans le second royaume. Cet exemplarisme implique la prédestination : l’âme contemplative est en effet l’objet d’un choix divin, prédestinée à la vie mystique.
L’aboutissement de ce retour à Dieu est comme une récapitulation dans l’unité divine, une communion à l’unité divine : « Mais dans la fruition d’amour, on est devenu Dieu puissant et juste. […] Et unie à Lui, je parus devant son Père, qui me reçut en Lui et Le reçut en moi. » (Lettre 17) Dieu « invite constamment l’homme à l’unité dans la fruition de lui-même. » (Lettre 22)[2] De même que la divinité se diffuse dans la multiplicité des créatures, celles-ci retournent dans cette unité.
« Et parce que toi, unifiée, tu as ramené dans l’Unité tous les hommes en moi et tu as fait coïncider les heures [c'est-à-dire les voies spirituelles des hommes] avec les voies de ma nature par lesquelles je suis sorti et revenu. » (Vision 8) « Hélas ! très chère, que le violent amour ne t’ait pas encore vaincue et engloutie en son abîme ! » (Lettre 5) « Qu’il vous absorbe en lui-même, dans les profondeurs de sa sagesse ! » (Lettre 9) « Dans la profondeur, je me vis engloutie... » (Vision 12) « Les âmes englouties et perdues en Dieu de la sorte reçoivent dans l’amour la moitié de leur être comme la lune reçoit la lumière du soleil. La connaissance unifiante qu’elles reçoivent de cette lumière nouvelle, d’où elles procèdent et où elles demeurent — cette lumière simple absorbe l’autre et les deux moitiés de l’âme se rejoignent. » (Lettre 19)
L’âme qui tend vers Dieu rejoint l’idéal présent dans la sagesse divine ; elle rejoint son exemplaire et accomplit sa prédestination.

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[1] Cette belle définition comporte un jeu de mots entre sienleec [visible, transparent] et siele [âme].
[2] Cf. saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, I, 26, a.3 & 4.