LA FAMILLE en philosophie (4)

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Structure de la famille



Unité de la famille


La première question qui se pose est celle de l’unité du couple. L’Ancien Testament connaissait et tolérait la polygamie. L’Islam a conservé cet usage. La lecture même de la Bible en laisse voir tous les inconvénients : rivalités, divisions, haines personnelles et collectives.
De même, la structure mono-parentale, parfois inéluctable de fait, conduit à un déficit dans l’éducation des enfants : manque d’affection maternelle, ou bien faiblesse de caractère due à l’absence du principe d’autorité (le père). Les blessures de l’enfance sont difficilement remédiables et longues à cicatriser.


Stabilité de la famille


Étant admis que la famille est composée de deux personnes de sexe différent, on peut s’interroger sur sa durée. L’union familiale est-elle définitive ou temporaire ?
La réponse est évidente a priori si l’on se réfère à l’objet radical de l’amitié honnête conjugale, à savoir la descendance humaine. Nous avons traité plus haut de la nécessité de la famille pour l’éducation des enfants. La stabilité dans l’affection et la continuité de l’œuvre éducative impliquent nécessairement la stabilité de la famille.

A posteriori les ravages du divorce sont patents. Les enfants en sortent affectivement et psychiquement traumatisés, et ce de manière profonde et durable. Leur vie intellectuelle et morale en sort gravement handicapée.


Plusieurs objections peuvent être néanmoins opposées :


• S’il n’y a pas d’enfants, le problème n’existe plus. Le divorce devrait être donc autorisé aux couples sans enfants.
On doit répondre que, si le divorce était autorisé aux couples stériles ou sans enfants, la stabilité et la finalité des autres couples en souffrirait : l’enfant à naître, ou déjà né, serait regardé comme un obstacle à l’indépendance des époux. En outre, l’amour d’amitié des époux se verrait radicalement limité si l’union était considérée en principe comme soluble.

• Si les enfants sont déjà éduqués, le problème n’existe plus. À quoi bon rester ensemble ?
Imagine-t-on l’ambiance d’une famille où les parents attendent impatiemment la majorité des enfants pour pouvoir se séparer ? En réalité, l’œuvre éducatrice des parents se poursuit bien au-delà de la majorité de leurs enfants. L’influence bénéfique de l’exemple de fidélité donné par les parents, comme au contraire la blessure affective infligée aux enfants par la séparation, montre combien l’indissolubilité de l’amitié conjugale importe, même après la majorité de ceux-ci.

• Il est des cas où la séparation vaut mieux qu’une convivence forcée et insupportable. Celle-ci peut même aboutir à des situations gravissimes.
On doit reconnaître la pertinence de l’objection. L’ennui est que si le divorce est possible dans ces cas extrêmes, des époux désirant le divorce pourraient provoquer ou feindre de telles situations. La question est bien délicate à juger d’un point de vue purement philosophique. Autant dire que chaque cas doit être considéré en particulier, et que d’autres points de vue s’avèrent nécessaires.


Autorité et subsidiarité


Une autre question est celle de l’autorité. La différence entre les sexes n’est pas uniquement physique, comme nous l’avons vu. L’autorité appartient naturellement à l’homme, au sexe masculin. S’il est des cas particuliers où ce dernier n’est pas à la hauteur et doit être suppléé par sa femme, la division de l’autorité à part égales entre deux personnes abandonne la famille et l’éducation à une sorte de flou anarchique, dont les enfants seront les premières victimes. La structure de la famille, à la différence de celle de la Cité, est déterminée par la nature.

Voir notre article sur l'autorité, notamment en politique.

La femme n’est ni purement et simplement soumise à l’homme, ni purement et simplement égale. L’autorité appartient au père, et la femme est son associée. La complémentarité impose un ordre hiérarchique requis par la finalité commune.

À ce propos se pose la question de la présence de la femme au foyer. On présente souvent le travail extérieur de la femme comme une promotion, en montrant l’exemple de femmes premiers ministres, avocates, médecins, ou occupant tout autre poste public. Sans doute.
Mais la plupart des femmes ne connaissent pas un tel succès professionnel et nombre d’entre elles sont des victimes aisées de l’économie de profit. On caricature ainsi la mère au foyer en la présentant noyée dans des tâches matérielles méprisables. Outre que les appareils électro-ménagers rendent ces tâches - autrefois assumées par des domestiques salariés - plus légères, c’est surtout oublier que la fonction de la mère, loin de se réduire à des travaux ménagers, est de veiller à la vie intérieure, à l’harmonie du foyer, bien moins au plan matériel qu’au plan psychologique et moral. Il y a là tout un champ d’action où la femme peut déployer ses qualités créatives (artistiques au sens large) et surtout affectives et morales. Le soin et le souci à l’égard des personnes, inné et plus profond chez la femme que chez l’homme, comporte essentiellement un aspect spirituel, culturel et civilisateur. La femme s’épanouit pleinement dans le détail des expressions, d’apparence parfois négligeable, de l’amour conjugal, de la sollicitude maternelle et de la qualité personnelle. C’est elle qui assure la stabilité morale et matérielle du foyer lorsque l’époux se trouve trop accaparé par sa vie professionnelle ou publique. Lorsqu’elle manque, la famille souffre cruellement.

Si chacun des époux est pris par son propre travail, il rentre au foyer la tête chargée de soucis particuliers et préoccupée de problèmes étrangers à la famille elle-même. Il ne peut dès lors trouver dans le conjoint le soutien et le réconfort dont il aurait besoin. De plus, en cas de difficultés au sein du couple, le travail de la femme devient comme un dérivatif qui justifie l’indépendance, et la famille s’en trouve fragilisée. En revanche, une épouse libre de travail extérieur est disponible à ses enfants et à son époux, et peut être pour lui un conseiller et un appui précieux[1].

Ces derniers temps, on a vu apparaître un type social inconnu jusqu’alors : l’homme au foyer ! S’il arrive notamment que l’épouse soit susceptible d’un revenu supérieur à celui de l’époux, des visions matérialistes conduisent à cette forme de structure familiale. La psychologie de l’homme le rend moins apte que la femme à veiller à tous les détails de la vie domestique et au soin des petits enfants. L’autorité du père s’en trouve encore plus ébranlée et, à nouveau, l’unité de la famille en est immanquablement fragilisée.


Famille nombreuse ?


Convient-il que la famille soit nombreuse ou plutôt réduite ? Une réponse globale est, bien-entendu, impossible. La famille nombreuse a l’avantage de développer l’amitié et le dévouement. Elle implique l’exercice des responsabilités de la part des aînés. L’expérience montre qu’elle est source d’enrichissement spirituel et de bonheur. Mais elle a aussi ses inconvénients.

Outre les questions matérielles, qui, sans êtres les premières, ne peuvent être ignorées, se pose le problème de la capacité des parents à gouverner un grand nombre d’enfants et à en assumer complètement l’éducation. L’État et l’Église pouvaient autrefois compenser certaines déficiences. Aujourd’hui la situation serait plutôt inverse. Les conditions morales et politiques actuelles rendent, il est vrai, la vie familiale de plus en plus difficile, mais les possibilités d’entr’aide et de communication peuvent aussi, dans une certaine mesure, contrebalancer ces difficultés.
Il y a là un choix prudentiel délicat qui relève de la décision et de la responsabilité des parents, et pour lequel la seule philosophie ne saurait suffire[2].


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[1] Voir par exemple Sertillanges, La vie intellectuelle, III, § 1.
[2] On pourra objecter - mais ici l’argument est théologique - le commandement divin donné à Adam et Ève : « Et Dieu les bénit, et leur dit : Soyez féconds, multipliez- vous, remplissez la terre. » (Gn 1, 28) — Ce commandement vaut-il pour le Nouveau Testament ?