LIBERTÉ CHRÉTIENNE



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La liberté chrétienne

La société antique était divisée entre hommes libres et esclaves. Saint Paul utilise analogiquement cette distinction pour expliquer que, par la Croix du Christ, le chrétien est libéré de la loi de l’Ancien Testament. La liberté chrétienne est donc d’abord l’état du chrétien dégagé des observances judaïques :
Ga 2,4 : « Des faux frères intrus s'étaient glissés parmi nous pour épier la liberté que nous avons dans le Christ Jésus, afin de nous réduire en servitude. »
Rm 7,6 : « Mais maintenant nous avons été dégagés de la Loi, étant morts à la Loi, sous l'autorité de laquelle nous étions tenus, de sorte que nous servons Dieu dans un esprit nouveau, et non selon une lettre surannée. »
Mais cette liberté ne signifie pas la licence. Ne plus être esclave de la loi de l’Ancien Testament ne signifie pas vivre sans loi. Libéré des observances de la Loi, le chrétien est tenu à une autre loi :
I Co 9,21 : « … Quoique je ne sois pas sans la loi de Dieu, étant sous la loi du Christ. »
I Co 6,12 : « Tout m'est permis, mais tout n'est pas utile ; tout m'est permis, mais moi, je ne me laisserai pas dominer par quoi que ce soit. » Même formule en I Co 10,23 : « Tout est permis, mais tout n'est pas expédient ; tout est permis, mais tout n'édifie pas. »

Le chrétien, tout en étant libre, demeure donc dans une certaine servitude. En quel sens ?



Liberté et esclavage ne se conçoivent pas seulement par rapport à la loi, mais aussi par rapport au péché et à Dieu. L’homme est soit esclave du péché et libre par rapport à Dieu, soit libre par rapport au péché, mais esclave de Dieu :
Rm 6,18 : « Ainsi, ayant été affranchis du péché, vous êtes devenus les esclaves de la justice. »
Rm 6,10 : « Lorsque vous étiez les esclaves du péché, vous étiez libres à l'égard de la justice. »
Rm 6,22 : « Mais maintenant, affranchis du péché et devenus les esclaves de Dieu... »
L’homme soumis au péché n’est pas libre, car ses facultés sont infirmes, comme inhibées, emprisonnées par le mal. Sa liberté est entravée par quatre blessures, que saint Thomas d’Aquin, à la suite de la Tradition chrétienne, distingue ainsi :
« En tant que la raison est dépouillée de son adaptation au vrai, il y a blessure d'ignorance ; en tant que la volonté est dépouillée de son adaptation au bien, il y a blessure de malice ; en tant que l'irascible est dépouillé de son adaptation à ce qui est ardu, il y a blessure de faiblesse ; en tant que le concupiscible est dépouillé de son adaptation à des plaisirs modérés par la raison, il y a blessure de convoitise. - Ce sont donc bien là les quatre blessures infligées à toute la nature humaine par le péché du premier père. Mais, parce que l'inclination au bien de la vertu est diminuée en chaque homme par le péché actuel, [...] ces quatre blessures sont en outre consécutives aux autres péchés. C'est-à-dire que par le péché, la raison se trouve hébétée, surtout en matière d'action, et la volonté endurcie à l'égard du bien, cependant que s'accroît la difficulté de bien agir et que la convoitise s'enflamme davantage. »[1]

Le chrétien est progressivement libéré de ces blessures par la grâce :
II Co 3,17 : « Or le Seigneur, c'est l'esprit, et là où est l'esprit du Seigneur, là est la liberté. »
La soumission à la loi du Christ est, en réalité, la véritable liberté.
Rm 8,2 : « La loi de l'Esprit de vie m'a affranchi en Jésus-Christ de la loi du péché et de la mort. »

C’est que la loi chrétienne, la loi du Nouveau Testament, même si elle implique des prescriptions et des prohibitions, n’est pas d’abord une législation extérieure, mais une vie intérieure. L’épître aux Hébreux cite les paroles divines adressées au prophète Jérémie : « Je mettrai mes lois dans leur esprit et je les écrirai dans leur cœur. » (Hb 8,10) Et voici comment l’entend saint Thomas :
« Ce qui prime dans la loi de la nouvelle alliance, ce en quoi réside toute son efficacité, c'est la grâce du Saint-Esprit, donnée par la foi au Christ. C'est donc précisément la grâce du Saint-Esprit, donnée à ceux qui croient au Christ, qui constitue au premier chef la loi nouvelle. Telle est manifestement la pensée de saint Paul : ‘Ou est donc le droit de se glorifier ? Il est exclu. Par quelle loi ? Par celle des œuvres? Non, mais par la loi de la foi’ (Rm 3,27) ; car il appelle ‘loi’ la grâce même de la foi. Il s'exprime plus nettement encore ailleurs : ‘La loi de l'esprit de vie dans le Christ Jésus m'a délivré de la loi du péché et de la mort.’ (Rm 8,2) Ce qui fait dire à saint Augustin : ‘Comme la loi des œuvres fut écrite sur des tables de pierre, la loi de la foi fut écrite dans le cœur des fidèles’ ; et encore : ‘Quelles sont-elles, ces lois que Dieu lui-même a inscrites dans nos cœurs, sinon la présence même du Saint Esprit ?’
Il y a toutefois dans la loi nouvelle certaines dispositions qui préparent à la grâce du Saint-Esprit, ou qui tendent à la mise en œuvre de cette grâce. Ce sont en quelque sorte des éléments seconds de la loi nouvelle, dont il a fallu que ceux qui croient au Christ fussent instruits, oralement et par écrit, tant pour ce qui est à croire que pour ce qui est à faire. Il faut donc conclure que la loi nouvelle est dans son principe essentiel une loi intérieure, mais que dans ses éléments secondaires elle est une loi écrite. »[2]
Or, de même qu’une loi politique juste ne violente pas la liberté, mais lui indique sa perfection vers le bien commun, les prescriptions de la loi nouvelle orientent l’homme vers son bonheur surnaturel et sa perfection.

Cette loi se résume en celle de la charité : « ‘Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. C'est là le plus grand et le premier commandement. Un second lui est égal : Tu aimeras ton proche comme toi-même. En ces deux commandements tient toute la Loi, et les Prophètes. » Mt (22,35-40) De sorte que la vraie liberté ne se trouve pas dans la licence effrénée, mais dans l’exercice de la charité.
Ga 5,13 : « Pour vous, mes frères, vous avez été appelés à la liberté ; seulement ne faites pas de cette liberté un prétexte pour vivre selon la chair ; mais, rendez-vous par la charité, serviteurs les uns des autres. »
Or, ce commandement de la charité, bien loin d’être une restriction de la liberté, est l’épanouissement de la tendance fondamentale de l’homme. Témoin ce texte de saint Basile :
« L’amour de Dieu ne s’enseigne pas. Personne ne nous a appris à jouir de la lumière ni à tenir à la vie par-dessus tout ; personne non plus ne nous a enseigné à aimer ceux qui nous ont mis au monde ou nous ont élevés.
De la même façon, ou plutôt à plus forte raison, ce n’est pas un enseignement extérieur qui nous apprend à aimer Dieu. Dans la nature même de l’être vivant - je veux dire de l’homme - , se trouve inséré comme un germe qui contient en lui le principe de cette aptitude à aimer. C’est à l’école des commandements de Dieu qu’il appartient de recueillir ce germe, de le cultiver diligemment, de le nourrir avec soin, et de le porter à son épanouissement moyennant la grâce divine. […]
Il faut savoir que cette vertu de charité est une, mais qu’en puissance, elle embrasse tous les commandements : ‘Car celui qui m’aime, dit le Seigneur, accompli mes commandements’ ; et encore : ‘Dans ces deux commandements sont contenus toute la loi et les prophètes.’ […]
Posons d’abord cette prémisse : nous avons reçu de Dieu la tendance naturelle à faire ce qu’il commande et nous ne pouvons donc nous insurger comme s’il nous demandait une chose tout à fait extraordinaire, ni nous enorgueillir comme si nous apportions plus que ce qui nous est donné. C’est en usant loyalement et convenablement de ces forces que nous vivons saintement dans la vertu ; c’est en les détournant de leur fin, que nous sommes au contraire emportés vers le mal. »[3]

La nature de la liberté chrétienne est excellemment résumée dans la formule de saint Augustin :
« Une fois pour toutes t’est donc donné ce court précepte :
Aime et fais ce que tu veux !
Si tu te tais, tais-toi par amour ; si tu parles, parle par amour ; si tu corriges, corrige par amour ; si tu pardonnes, pardonne par amour ; aie au fond du cœur la racine de l’amour : de cette racine il ne peut rien sortir que de bon. »[4]



Ici s'achève notre étude sur la liberté et les libertés...




[1] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica I-II, 85, a3.

[2] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica I-II, 106, a1.

[3] Saint Basile, Grandes règles, n. 2.

[4] Saint Augustin, Commentaire de la première épître de saint Jean, VII, 8.