La LIBERTÉ 4
Plan de l'article : Objet du libre arbitre
Objet du libre arbitre
Choisir entre des biens
La volonté a pour objet le bien. Elle veut nécessairement, par essence, le bien en général et donc le bonheur. Mais, ce bonheur - dont il appartient à la philosophie pratique de rechercher la nature - requiert des biens particuliers que la volonté ne veut pas nécessairement. C’est parmi ces biens particuliers que le libre-arbitre doit choisir.
Autrement dit, tout homme cherche naturellement le bonheur. C’est la volonté fondamentale de bonheur qui est principe de tous les actes de volonté. C’est en fonction de ce bonheur, et de la conception qu’il s’en fait, que l’homme prend les grandes et les petites décisions au cours de sa vie. Maître de ses actes il est amené à choisir des biens qu’il estime constitutifs de ce bonheur (par exemple, la vie familiale), ou de purs moyens instrumentaux pour les obtenir (par exemple, une maison). Dans tous les cas, l’objet du choix est une certaine réalité positive, un certain bien.
Il peut arriver que des décisions soient malheureuses, et nuisent au bonheur, mais personne ne choisit le mal en tant que tel. Les Pères de l’Église et les philosophes se sont efforcés de montrer que le mal n’est pas une réalité positive ; il est la privation d’un bien. Il est donc assez maladroit de définir la liberté comme étant un pouvoir de choix entre le bien et le mal. Celui qui fait un mauvais choix, cherche sans doute un bien de manière désordonnée, au détriment d’un bien plus grand, mais c’est toujours un bien qu’il cherche.
Le libre-arbitre étant un pouvoir, une puissance, c’est l’acte bon qui en constitue la perfection actuelle, tout comme voir est la perfection de la vue, comprendre, celle de l’intelligence, se déplacer celle de la faculté motrice du corps. L’acte mauvais, en tant que mauvais, est une déficience, il n’est pas une perfection. La possibilité du mauvais choix, c'est-à-dire d’un choix qui nuit au bonheur, n’est pas une perfection ni une capacité positive du libre-arbitre ; elle le suit nécessairement, tel un corollaire inévitable ; elle n’est que la conséquence de l’ouverture du libre-arbitre à une multiplicité de choix, de la capacité qu’il possède de faire le bien spontanément, mais elle n’en est pas la perfection. Elle ne peut donc pas définir le libre-arbitre.
Il n’y a donc pas à proprement parler de liberté pour le mal.
Il n’y a donc pas de liberté à l’égard du néant, du non-être.
Il n’y a pas non plus de liberté à l’égard de la nature des choses, de la nature humaine en particulier, ni à l’égard du bonheur dans sa généralité.
Les hommes peuvent rechercher des bonheurs différents. C’est à la philosophie morale d’en traiter. Mais ils ne sont pas libres de désirer le bonheur ou de ne pas le désirer. En outre, de par l’unité de la nature humaine, ces bonheurs ne pourront être essentiellement différents.
Examinons cela de façon plus approfondie.
Liberté et nature
Il semble qu’il soit propre à l’homme de pouvoir dominer la nature, de ne pas être soumis à ses nécessités, autrement dit d’être autonome par rapport à elle. On est ainsi amené à concevoir la liberté comme contraire à la nature.
L’homme serait d’autant plus libre qu’il irait contre la nature.
La pensée existentialiste considère la liberté comme opposée à la nature et à la propre essence de l’homme. L’homme n’aurait une essence qu’à sa mort. Il est vrai aussi que les sciences et techniques confèrent une puissance de plus en plus grande sur les choses. L’homme a même acquis grâce à elles un certain pouvoir sur lui-même, sur ses semblables, sur la société. Le génie génétique semble lui ouvrir des possibilités infinies de transformation du monde et même de l’espèce humaine. L’homme se transforme lui-même dans sa personnalité spirituelle, psychique, physique. Par là, il semblerait devenu souverainement libre. Liberté et nature semblent ainsi s’opposer.
C’est un des problèmes majeurs de la civilisation moderne.
Il y a comme un orgueil prométhéen chez l’homme de prétendre tout tenir en son pouvoir, même sa propre nature.
L’homme jouit-il réellement d’un tel pouvoir ?
Laissons de côté les questions physiques et génétiques qui ne concernent que l’aspect matériel et animal de l’homme, pour ne considérer que le problème métaphysique de la liberté et de la nature humaine. L’homme possède un certain pouvoir sur son corps et son psychisme. Il peut les améliorer ou les détériorer par ses habitudes de vie et son comportement. Mais il ne peut pas changer ce qui fait l’essentiel de ce qu’il est est : l’âme, le corps, le rapport entre l’âme et le corps. L’âme est dirigée par les facultés spirituelles que sont l’intelligence et la volonté. Sur cet ordre corporel et spirituel, sur les principes mêmes de sa nature, l’homme n’a pas de pouvoir. Que ce soit pour les choses extérieures ou sur lui-même, l’homme ne peut exercer un pouvoir qu’en suivant les principes et les lois de la nature. Cela vaut pour l’agriculteur, pour le technicien, comme pour le politique et le moraliste. En ce sens, la liberté ne peut aller contre la nature, car son objet est un bien réel, qui présuppose la nature.
Il y a en tout être une tendance naturelle vers le maintien de son existence et vers sa perfection ; l’homme tend naturellement vers le bonheur. Le bonheur est précisément l’acte ou l’opération la plus parfaite convenant à la nature. C’est pourquoi tout être, plante, animal ou homme a une tendance naturelle vers son bien et vers ce qui est conforme à sa nature, que ce soit physiquement ou moralement. Il est vrai que l’homme peut s’opposer, dans certains cas, à certaines de ses tendances naturelles - nous y reviendrons - mais c’est toujours en vue du bonheur qu’il le fait, selon la tendance fondamentale de la nature. Se conformer à la nature, bien loin d’être une déchéance du libre-arbitre, en est au contraire une perfection. L’attitude de révolte contre la nature est une déficience du libre-arbitre.
En revanche, la liberté conçue comme indifférence - voire rejet de toute détermination -, s’oppose aux tendances de la nature ; elle met son idéal dans la lutte contre les tendances naturelles qui fixent une limite au pouvoir total que l’homme prétend s’attribuer, sur lui-même et sur toutes choses.
Qui plus est, la nature est le fondement du libre-arbitre.
L’homme est libre parce qu’il est doué de facultés spirituelles - intelligence et volonté. Les principes de la nature humaine sont les mêmes que ceux du libre-arbitre. Là encore une attitude contre-nature est aussi une déficience du libre-arbitre. Suivre des caprices et des pulsions contraires aux principes de la nature n’est pas une preuve de liberté mais de fantaisie incontrôlée.
Le libre-arbitre, lui, est pleinement naturel. Le sens moral et l’orientation fondamentale de l’homme vers le bien, font partie de ses fondements. Les actes libres bien orientés perfectionnent ce sens moral et le conduisent aux vertus.
Nous sommes libres, non pas malgré ces dispositions naturelles, mais à cause d'elles. Plus nous les développerons et plus nous deviendrons libres.
En revanche, au sens précis où ‘naturel’ signifie ‘ce qui n’est pas volontaire’ et découle nécessairement de la nature - ce qui est commun aux hommes et aux animaux (respirer, digérer, etc.) - il est vrai que naturel et libre s’opposent. Respirer et digérer sont des actes naturels, parler est un acte libre et volontaire.
Là encore, il n’y a pas d’opposition entre nature et volonté.
Toutefois, la volonté, par un mouvement libre et déterminé, peut refuser ce qu’elle veut naturellement, de manière nécessaire, mais inachevée et inefficace. Alors que la santé est voulue naturellement, un homme peut renoncer à sa santé pour un projet ou un idéal qu’il préfère ; il peut même affronter la mort délibérément. En ce cas la volonté va bel et bien contre la nature.
On distingue donc la ‘volonté de nature’ dont l’objet est une chose considérée en elle-même, dans sa valeur absolue (par exemple la douleur, nécessairement rejetée, le plaisir d’une nourriture, nécessairement désiré ; et la ‘volonté de raison’ dont l’objet est une chose condisérée par rapport à un but que l’on se propose, et revêtue des circonstances concrètes (par exemple une opération douloureuse voulue pour la guérison, une nourriture agréable refusée pour raison de santé). C’est ce qu’explique saint Thomas par la suite, à propos de la volonté humaine du Christ :
Pouvoir, non pas indifférence
Le libre-arbitre étant un pouvoir de choix, il se détermine et s’achève dans une décision spécifiée par un objet, par un bien, par un acte.
Le libre-arbitre est ouvert à une foule d’objets possibles ; il est de soi indéterminé. Mais le maintien dans l’indétermination - certains caractères indécis y demeurent longtemps - n’en est pas la perfection. Un homme libre, c’est celui qui sait effectuer les choix et prendre les décisions, non pas celui qui reste dans le vide et l’attente indéfinie. L’indétermination et l’indifférence ne sont pas des idéaux recherchés pour eux-mêmes. Or, ce qui lève l’indétermination c’est le jugement pratique de l’intelligence qui conclut en vertu d’un motif, de par une raison d’agir ou de ne pas agir. Ce qui enrichit la raison, ce qui y pose des déterminations conduisant au bonheur, conformes au bien, permet au libre-arbitre d’aboutir à une décision. De même, l’homme étant susceptible d’être influencé par des passions, les qualités morales qui lui permettent de dominer ces passions et de réfléchir objectivement et sereinement, favorisent aussi le libre-arbitre. Ainsi tout ce qui enrichit l’homme intellectuellement et moralement ne débilite pas le libre-arbitre, mais le perfectionne.
Le libre-arbitre, en tant qu’il est une puissance, faculté, pouvoir, est indéterminé, mais cette indétermination n’en est pas la perfection. En tant qu’il est en acte, en tant qu’il est parfait, il choisit le bien. Sa perfection est de choisir le bien, elle ne consiste pas dans l’indétermination. Tout comme la puissance visuelle s’achève dans l’acte de voir une couleur précise, ainsi le libre-arbitre s’achève dans un acte déterminé.
Le rejet systématique de toute influence extérieure laisse le libre arbitre en état d’infirmité. Une conception de la liberté comme indétermination absolue, comme exclusion de toute influence extérieure, entraîne un état débile du libre-arbitre. En conséquence :
La liberté n’est pas une fin en soi.
Elle est la condition pour que l’acte soit véritablement humain, mais elle est en vue des actions humaines bonnes, c'est-à-dire des opérations par lesquelles l’homme est heureux. Elle est une puissance, une faculté donnée pour atteindre le bonheur, ou fin ultime, elle n’est pas cette fin elle-même, ni le bonheur.
Elle est pouvoir de tendre spontanément vers le bien.
Exercice et spécification
Le libre-arbitre est susceptible de deux sortes de choix : agir ou ne pas agir, faire telle action déterminée plutôt que telle autre. On parle alors de liberté d’exercice et de liberté de spécification.
Prenons l’exemple de la vue. La vue est déterminée, spécifiée par la couleur. Elle est mise en acte, de manière objective, par la couleur de la chose qui se présente. Elle est aussi modifiée, mise en mouvement, de manière subjective cette fois, par les dispositions internes, par l’application plus ou moins attentive de l’organe. Cette dernière mise en mouvement se situe dans l’ordre de l’exercice. Ces deux mises en acte - ou en mouvement - sont inséparables et simultanées. [10]
Quant à la volonté, on distinguera de même spécification et exercice. L’objet que l’on veut, le but que l’on poursuit, de par ce qu’il est et de par ce que l’on connaît de lui, apporte la spécification : on veut ceci ou cela, précisément. Mais l’adhésion à ce but, la mise en mouvement de la volonté, est située dans l’ordre de l’exercice.
Formation et éducation à la liberté
La liberté ne consistant pas dans la pure indétermination et l’absence de toute influence, mais étant un pouvoir d’agir, l’éducation, l’instruction, la formation, l’influence du milieu social auront une grande importance dans son usage et son développement[12].
L’influence extérieure diminue la liberté si elle empêche l’homme de la mettre en exercice : ainsi, par exemple, surprotéger une personne pour la soustraire à toute influence extérieure à son milieu, ou multiplier les prohibitions pour l’empêcher de prendre de l’initiative, voilà des mesures qui la rendent incapable de s’assumer elle-même, d’affronter les vicissitudes de la vie, et finalement, d’agir librement. Mais on aboutit au même résultat en satisfaisant et en laissant se développer tous les caprices. L’homme laissé ‘libre’ à toutes ses tendances, sans formation intellectuelle ni morale, sans ordre ni contrôle, finit par devenir manipulable et accessible à toutes les formes de pressions sociales.
Outre une bonne influence extérieure, la formation du libre-arbitre s’effectue aussi par l’usage propre du libre-arbitre lui-même. Progressivement, l’homme prend des décisions et se détermine lui-même, décide lui-même de son progrès intellectuel et moral, par l’étude et la pratique des vertus. Comme pour tout art, il faut un apprentissage avant de parvenir à la maîtrise de soi.
Un enfant présente-t-il des dispositions pour la musique, on lui donne un maître pour lui enseigner à jouer d’un instrument. Il acquerra ainsi une nouvelle liberté, celle de jouer d’un instrument de musique. Mais pour y parvenir il passera par des phases de difficultés, d’efforts, de contrainte, de discipline. Peut-être même ira-t-on parfois contre sa volonté personnelle pour lui imposer cet apprentissage. Sa liberté n’y aura-t-elle pas gagné ? On peut aussi mentionner l’étude d’une langue étrangère, qui accroît la liberté mais qui passe par des phases de contrainte.
Qui plus est, la parole libre présuppose la soumission aux règles de la grammaire et aux traditions du vocabulaire, sous peine de ne pas être compris ! Bien loin de s’opposer à une règle, à une loi, la liberté la présuppose !
Le libre-arbitre étant conjointement le fait de la raison et de la volonté[13], sa perfection requiert celle de ces deux facultés. Celui qui sait davantage est plus libre que celui qui ignore. Puis-je librement décider du lieu de mes vacances si j’ignore les régions où je pourrais me rendre ? Puis-je librement décider de mon avenir professionnel si je suis dans l’ignorance des métiers que je puis pratiquer ? Cela vaut aussi bien pour les grands principes de la vie morale et politique, que pour les questions les plus quotidiennes.
La connaissance spéculative ne suffit pas pour décider librement. En matière pratique, en effet, la conclusion ne s’impose pas nécessairement.
De plus, le fonctionnement impartial et serein de l’intelligence est souvent troublé par les passions, et c’est la volonté meut l’intellect pratique à la conclusion. C’est donc ici qu’intervient l’éducation morale, qui consiste moins à faire connaître le bien - c'est-à-dire répétons-le, les voies du bonheur - qu’à faire agir. Régir les passions, avoir la fermeté du caractère pour décider concrètement ce que l’on sait être bien, sans se donner des prétextes d’impossibilité, tout cela est l’œuvre de l’éducation morale. On pourrait prendre l’exemple de toutes les vertus, de toutes les qualités morales et intellectuelles. Elles accroissent le pouvoir de la personne, elles la rendent libre en de multiples circonstances et aspects de la vie humaine, elles présupposent une acquisition grâce à un effort personnel sous une autorité de contrôle. Et c’est là qu’intervient l’autorité.
Autorité et liberté ne sont pas contraires.
La liberté se perfectionne sous les actions conjointes et complémentaires de la personne et de l’autorité.
La conception de la liberté, comme pure indifférence et indétermination, abhorre l’autorité.
Autorité et liberté sont alors conçues comme deux contraires : plus il y a d’autorité, moins il y a de liberté. En revanche, l’autorité, correctement conçue, est le principe de développement et de perfectionnement de la liberté. Son rôle n’est pas de brimer le libre-arbitre, de prendre les décisions à la place du sujet qui lui est soumis, mais de le former, de le rendre capable de décider par lui-même, grâce à la formation intellectuelle et morale qu’il a reçue. Plus qu’un rapport de chef à subordonné, il faut voir entre autorité et liberté un rapport de maître à disciple.
[1] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica I, 62, a8, ad3.
[2] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica III, 34, a3, ad1.
[3] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica I, 63, a1, ad4.
[4] S.-T. Pinckaers OP, Les sources de la morale chrétienne, Fribourg, Éditions Universitaires, 1985/1993, p.364.
[5] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica I-II, 10, a1, ad1.
[6] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica I-II, 10, a1, ad1.
[7] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica III, 18, a3.
[8] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica III, 18, a4.
[8b] C’est ainsi que saint Thomas désigne ici la volonté de nature, car elle n’intervient réellement que dans l’ordre sensible.
[9] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica III, 18, a5.
[10] Cf. Saint Thomas d’Aquin, De Malo, 6.
[11] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica I-II, 10, a2.
[12] Cf. S.-T. Pinckaers OP, Les sources de la morale chrétienne, Fribourg, Éditions Universitaires, 1985/1993, pp.361-367.
[13] Voir ci-dessus : Le libre-arbitre relève de la raison et de la volonté.
Choisir entre des biens
Liberté et nature
Pouvoir, non pas indifférence
Exercice et spécification
Formation et éducation à la liberté
Objet du libre arbitre
Choisir entre des biens
La volonté a pour objet le bien. Elle veut nécessairement, par essence, le bien en général et donc le bonheur. Mais, ce bonheur - dont il appartient à la philosophie pratique de rechercher la nature - requiert des biens particuliers que la volonté ne veut pas nécessairement. C’est parmi ces biens particuliers que le libre-arbitre doit choisir.
Autrement dit, tout homme cherche naturellement le bonheur. C’est la volonté fondamentale de bonheur qui est principe de tous les actes de volonté. C’est en fonction de ce bonheur, et de la conception qu’il s’en fait, que l’homme prend les grandes et les petites décisions au cours de sa vie. Maître de ses actes il est amené à choisir des biens qu’il estime constitutifs de ce bonheur (par exemple, la vie familiale), ou de purs moyens instrumentaux pour les obtenir (par exemple, une maison). Dans tous les cas, l’objet du choix est une certaine réalité positive, un certain bien.
Il peut arriver que des décisions soient malheureuses, et nuisent au bonheur, mais personne ne choisit le mal en tant que tel. Les Pères de l’Église et les philosophes se sont efforcés de montrer que le mal n’est pas une réalité positive ; il est la privation d’un bien. Il est donc assez maladroit de définir la liberté comme étant un pouvoir de choix entre le bien et le mal. Celui qui fait un mauvais choix, cherche sans doute un bien de manière désordonnée, au détriment d’un bien plus grand, mais c’est toujours un bien qu’il cherche.
Le libre-arbitre étant un pouvoir, une puissance, c’est l’acte bon qui en constitue la perfection actuelle, tout comme voir est la perfection de la vue, comprendre, celle de l’intelligence, se déplacer celle de la faculté motrice du corps. L’acte mauvais, en tant que mauvais, est une déficience, il n’est pas une perfection. La possibilité du mauvais choix, c'est-à-dire d’un choix qui nuit au bonheur, n’est pas une perfection ni une capacité positive du libre-arbitre ; elle le suit nécessairement, tel un corollaire inévitable ; elle n’est que la conséquence de l’ouverture du libre-arbitre à une multiplicité de choix, de la capacité qu’il possède de faire le bien spontanément, mais elle n’en est pas la perfection. Elle ne peut donc pas définir le libre-arbitre.
Il n’y a donc pas à proprement parler de liberté pour le mal.
« Que le libre-arbitre puisse choisir divers moyens, du moment qu'ils sont ordonnés à la fin, cela relève en lui de cette perfection qu'est la liberté ; mais qu'il opère un choix en se soustrayant à l'ordre de la fin, ce qui est ‘pécher’, cela relève de ce qu'il y a de déficient dans sa liberté. » [1]
« Le libre arbitre n'est pas dans le même rapport avec le bien et avec le mal ; car il se porte vers le bien par lui-même et selon sa nature, et vers le mal par déficience et hors de sa nature. Comme dit le Philosophe. "Ce qui est contraire à la nature est postérieur à ce qui lui est conforme ; parce que ce qui est contraire à la nature est comme une brisure par rapport à ce qui lui est conforme." Et c'est pourquoi le libre arbitre de la créature peut, dès le premier instant de sa création, se mouvoir vers le bien en méritant, et non vers le mal en péchant, du moins si la nature est intègre. » [2]
« Le péché peut se produire dans l'acte du libre arbitre d'une double manière. En premier lieu, quand un mal donné est objet de choix ; ainsi l'homme pèche en choisissant l'adultère qui est un mal en soi. Sous ce rapport, le péché procède toujours d'une ignorance ou d'une erreur ; autrement ce qui est mal ne serait pas choisi comme un bien. L'adultère [par exemple], sous l'influence de la passion ou de l'habitude, choisit, dans un cas particulier, telle délectation désordonnée comme si elle était un bien actuellement désirable, même s'il sait à quoi s'en tenir sur les exigences de la moralité en général.
[…]
D'une autre manière, il arrive au libre arbitre de pécher quand il choisit un objet bon en soi, mais sans tenir compte de l'ordre imposé par la règle morale. Dans ce cas, le défaut qui entraîne le péché ne vient pas de l'objet choisi, mais du choix lui-même qui n'est pas fait selon l'ordre voulu ; ainsi quand quelqu'un décide de prier et le fait sans observer l'ordre institué par l'Église. Un tel péché ne suppose pas l'ignorance, mais seulement l'absence de considération de ce qui doit être considéré. » [3]
Il n’y a donc pas de liberté à l’égard du néant, du non-être.
Il n’y a pas non plus de liberté à l’égard de la nature des choses, de la nature humaine en particulier, ni à l’égard du bonheur dans sa généralité.
Les hommes peuvent rechercher des bonheurs différents. C’est à la philosophie morale d’en traiter. Mais ils ne sont pas libres de désirer le bonheur ou de ne pas le désirer. En outre, de par l’unité de la nature humaine, ces bonheurs ne pourront être essentiellement différents.
Examinons cela de façon plus approfondie.
Liberté et nature
Il semble qu’il soit propre à l’homme de pouvoir dominer la nature, de ne pas être soumis à ses nécessités, autrement dit d’être autonome par rapport à elle. On est ainsi amené à concevoir la liberté comme contraire à la nature.
L’homme serait d’autant plus libre qu’il irait contre la nature.
La pensée existentialiste considère la liberté comme opposée à la nature et à la propre essence de l’homme. L’homme n’aurait une essence qu’à sa mort. Il est vrai aussi que les sciences et techniques confèrent une puissance de plus en plus grande sur les choses. L’homme a même acquis grâce à elles un certain pouvoir sur lui-même, sur ses semblables, sur la société. Le génie génétique semble lui ouvrir des possibilités infinies de transformation du monde et même de l’espèce humaine. L’homme se transforme lui-même dans sa personnalité spirituelle, psychique, physique. Par là, il semblerait devenu souverainement libre. Liberté et nature semblent ainsi s’opposer.
C’est un des problèmes majeurs de la civilisation moderne.
Il y a comme un orgueil prométhéen chez l’homme de prétendre tout tenir en son pouvoir, même sa propre nature.
L’homme jouit-il réellement d’un tel pouvoir ?
Laissons de côté les questions physiques et génétiques qui ne concernent que l’aspect matériel et animal de l’homme, pour ne considérer que le problème métaphysique de la liberté et de la nature humaine. L’homme possède un certain pouvoir sur son corps et son psychisme. Il peut les améliorer ou les détériorer par ses habitudes de vie et son comportement. Mais il ne peut pas changer ce qui fait l’essentiel de ce qu’il est est : l’âme, le corps, le rapport entre l’âme et le corps. L’âme est dirigée par les facultés spirituelles que sont l’intelligence et la volonté. Sur cet ordre corporel et spirituel, sur les principes mêmes de sa nature, l’homme n’a pas de pouvoir. Que ce soit pour les choses extérieures ou sur lui-même, l’homme ne peut exercer un pouvoir qu’en suivant les principes et les lois de la nature. Cela vaut pour l’agriculteur, pour le technicien, comme pour le politique et le moraliste. En ce sens, la liberté ne peut aller contre la nature, car son objet est un bien réel, qui présuppose la nature.
Il y a en tout être une tendance naturelle vers le maintien de son existence et vers sa perfection ; l’homme tend naturellement vers le bonheur. Le bonheur est précisément l’acte ou l’opération la plus parfaite convenant à la nature. C’est pourquoi tout être, plante, animal ou homme a une tendance naturelle vers son bien et vers ce qui est conforme à sa nature, que ce soit physiquement ou moralement. Il est vrai que l’homme peut s’opposer, dans certains cas, à certaines de ses tendances naturelles - nous y reviendrons - mais c’est toujours en vue du bonheur qu’il le fait, selon la tendance fondamentale de la nature. Se conformer à la nature, bien loin d’être une déchéance du libre-arbitre, en est au contraire une perfection. L’attitude de révolte contre la nature est une déficience du libre-arbitre.
En revanche, la liberté conçue comme indifférence - voire rejet de toute détermination -, s’oppose aux tendances de la nature ; elle met son idéal dans la lutte contre les tendances naturelles qui fixent une limite au pouvoir total que l’homme prétend s’attribuer, sur lui-même et sur toutes choses.
Qui plus est, la nature est le fondement du libre-arbitre.
L’homme est libre parce qu’il est doué de facultés spirituelles - intelligence et volonté. Les principes de la nature humaine sont les mêmes que ceux du libre-arbitre. Là encore une attitude contre-nature est aussi une déficience du libre-arbitre. Suivre des caprices et des pulsions contraires aux principes de la nature n’est pas une preuve de liberté mais de fantaisie incontrôlée.
Le libre-arbitre, lui, est pleinement naturel. Le sens moral et l’orientation fondamentale de l’homme vers le bien, font partie de ses fondements. Les actes libres bien orientés perfectionnent ce sens moral et le conduisent aux vertus.
« Le germe naturel de la liberté est formé en nous principalement par le sens du vrai et du bien, de la droiture et de l'amour, par le désir de la connaissance et du bonheur. Ou encore par ce que les anciens appelaient les « semina virtutum », les semences des vertus qui feront croître ces dispositions naturelles, le sens de la justice, du courage, de la vérité, de l'amitié, de la générosité, etc., qui nous font spontanément louer les actes conformes et réprouver les manquements, du moins dans une considération générale. Ces dispositions projettent devant nous un certain idéal de vie qui oriente nos désirs, nos intentions, et régit nos jugements moraux. » [4]
Nous sommes libres, non pas malgré ces dispositions naturelles, mais à cause d'elles. Plus nous les développerons et plus nous deviendrons libres.
En revanche, au sens précis où ‘naturel’ signifie ‘ce qui n’est pas volontaire’ et découle nécessairement de la nature - ce qui est commun aux hommes et aux animaux (respirer, digérer, etc.) - il est vrai que naturel et libre s’opposent. Respirer et digérer sont des actes naturels, parler est un acte libre et volontaire.
« L'opposition entre volonté et nature est celle d'une cause par rapport à une autre. [En ce sens, ce qui est purement naturel n’est ni volontaire, ni libre]. Car certaines opérations sont naturelles, et d'autres volontaires. Or, le mode de causalité propre à la volonté, maîtresse de ses actes, est autre que celui de la nature, laquelle est déterminée à une seule opération. » [5]Ceci n’empêche pas que la volonté veuille certaines choses naturellement et nécessairement : le bonheur, tout ce qui y concourt de manière nécessaire, en particulier la santé, le bien-être. On dit alors que l’on veut ‘naturellement’ :
« Parce que la volonté a son fondement dans une nature, il est nécessaire que le mouvement propre à la nature se trouve participé sous un certain rapport par la volonté, comme ce qui est d'une cause plus élevée [et plus universelle] est participé par une cause d'ordre inférieur [et plus spécifique]. Dans chaque chose, en effet, l'être même, qui existe par nature, est antérieur au vouloir qui est effet de la volonté. Voilà pourquoi la volonté veut quelque chose par nature. » [6]
Là encore, il n’y a pas d’opposition entre nature et volonté.
Toutefois, la volonté, par un mouvement libre et déterminé, peut refuser ce qu’elle veut naturellement, de manière nécessaire, mais inachevée et inefficace. Alors que la santé est voulue naturellement, un homme peut renoncer à sa santé pour un projet ou un idéal qu’il préfère ; il peut même affronter la mort délibérément. En ce cas la volonté va bel et bien contre la nature.
« L'acte volontaire qui se porte sur un objet voulu pour lui-même - comme la santé -, n'est donc pas de même sorte que l'acte volontaire qui se porte sur un objet voulu seulement dans son rapport à autre chose - comme l'absorption d'un remède. Le premier acte est appelé par saint Jean Damascène thelesis ou simple vouloir, et les Maîtres lui donnent le nom de volonté de nature ; le second est appelé par le Damascène boulesis ou volonté prudentielle ; et les Maîtres lui donnent le nom de volonté de raison. »[7]Ce n’est autre que la différence entre la volonté de nature et la volonté libre d’élection.
« L'élection, dit Aristote, diffère de la volonté en ce que celle-ci "a pour objet, à proprement parler, la fin, tandis que l'élection a pour objet les moyens". Ainsi, le simple vouloir n'est pas autre chose que ce que nous avons appelé la volonté de nature ; et l'élection est identique à la volonté de raison ; de plus, elle est l'acte propre du libre arbitre. »[8]
On distingue donc la ‘volonté de nature’ dont l’objet est une chose considérée en elle-même, dans sa valeur absolue (par exemple la douleur, nécessairement rejetée, le plaisir d’une nourriture, nécessairement désiré ; et la ‘volonté de raison’ dont l’objet est une chose condisérée par rapport à un but que l’on se propose, et revêtue des circonstances concrètes (par exemple une opération douloureuse voulue pour la guérison, une nourriture agréable refusée pour raison de santé). C’est ce qu’explique saint Thomas par la suite, à propos de la volonté humaine du Christ :
« Il est manifeste que la volonté de sensualité[8b] s'oppose naturellement à la douleur sensible et à toute lésion corporelle; de même la volonté de nature s'oppose à tout ce qui est contraire à la nature et mauvais en soi, comme la mort, etc. Néanmoins, la volonté de raison peut parfois choisir ces maux en considération de la fin ; ainsi, chez un homme ordinaire, la sensibilité et la volonté de nature fuient la brûlure, mais la volonté de raison l'accepte pour guérir. »[9]En ce sens-là la liberté s’oppose à la nature, mais c’est en fait pour rejoindre une tendance plus fondamentale de celle-ci : il s’oppose à la nature sur un bien particulier en vue d’un bien supérieur et plus universel.
Pouvoir, non pas indifférence
Le libre-arbitre étant un pouvoir de choix, il se détermine et s’achève dans une décision spécifiée par un objet, par un bien, par un acte.
Le libre-arbitre est ouvert à une foule d’objets possibles ; il est de soi indéterminé. Mais le maintien dans l’indétermination - certains caractères indécis y demeurent longtemps - n’en est pas la perfection. Un homme libre, c’est celui qui sait effectuer les choix et prendre les décisions, non pas celui qui reste dans le vide et l’attente indéfinie. L’indétermination et l’indifférence ne sont pas des idéaux recherchés pour eux-mêmes. Or, ce qui lève l’indétermination c’est le jugement pratique de l’intelligence qui conclut en vertu d’un motif, de par une raison d’agir ou de ne pas agir. Ce qui enrichit la raison, ce qui y pose des déterminations conduisant au bonheur, conformes au bien, permet au libre-arbitre d’aboutir à une décision. De même, l’homme étant susceptible d’être influencé par des passions, les qualités morales qui lui permettent de dominer ces passions et de réfléchir objectivement et sereinement, favorisent aussi le libre-arbitre. Ainsi tout ce qui enrichit l’homme intellectuellement et moralement ne débilite pas le libre-arbitre, mais le perfectionne.
Le libre-arbitre, en tant qu’il est une puissance, faculté, pouvoir, est indéterminé, mais cette indétermination n’en est pas la perfection. En tant qu’il est en acte, en tant qu’il est parfait, il choisit le bien. Sa perfection est de choisir le bien, elle ne consiste pas dans l’indétermination. Tout comme la puissance visuelle s’achève dans l’acte de voir une couleur précise, ainsi le libre-arbitre s’achève dans un acte déterminé.
Le rejet systématique de toute influence extérieure laisse le libre arbitre en état d’infirmité. Une conception de la liberté comme indétermination absolue, comme exclusion de toute influence extérieure, entraîne un état débile du libre-arbitre. En conséquence :
La liberté n’est pas une fin en soi.
Elle est la condition pour que l’acte soit véritablement humain, mais elle est en vue des actions humaines bonnes, c'est-à-dire des opérations par lesquelles l’homme est heureux. Elle est une puissance, une faculté donnée pour atteindre le bonheur, ou fin ultime, elle n’est pas cette fin elle-même, ni le bonheur.
Elle est pouvoir de tendre spontanément vers le bien.
Exercice et spécification
Le libre-arbitre est susceptible de deux sortes de choix : agir ou ne pas agir, faire telle action déterminée plutôt que telle autre. On parle alors de liberté d’exercice et de liberté de spécification.
Prenons l’exemple de la vue. La vue est déterminée, spécifiée par la couleur. Elle est mise en acte, de manière objective, par la couleur de la chose qui se présente. Elle est aussi modifiée, mise en mouvement, de manière subjective cette fois, par les dispositions internes, par l’application plus ou moins attentive de l’organe. Cette dernière mise en mouvement se situe dans l’ordre de l’exercice. Ces deux mises en acte - ou en mouvement - sont inséparables et simultanées. [10]
Quant à la volonté, on distinguera de même spécification et exercice. L’objet que l’on veut, le but que l’on poursuit, de par ce qu’il est et de par ce que l’on connaît de lui, apporte la spécification : on veut ceci ou cela, précisément. Mais l’adhésion à ce but, la mise en mouvement de la volonté, est située dans l’ordre de l’exercice.
« La volonté est mue de deux manières : quant à l'exercice de l'acte, et quant à sa spécification, qui vient de l'objet. » [11]
Formation et éducation à la liberté
La liberté ne consistant pas dans la pure indétermination et l’absence de toute influence, mais étant un pouvoir d’agir, l’éducation, l’instruction, la formation, l’influence du milieu social auront une grande importance dans son usage et son développement[12].
L’influence extérieure diminue la liberté si elle empêche l’homme de la mettre en exercice : ainsi, par exemple, surprotéger une personne pour la soustraire à toute influence extérieure à son milieu, ou multiplier les prohibitions pour l’empêcher de prendre de l’initiative, voilà des mesures qui la rendent incapable de s’assumer elle-même, d’affronter les vicissitudes de la vie, et finalement, d’agir librement. Mais on aboutit au même résultat en satisfaisant et en laissant se développer tous les caprices. L’homme laissé ‘libre’ à toutes ses tendances, sans formation intellectuelle ni morale, sans ordre ni contrôle, finit par devenir manipulable et accessible à toutes les formes de pressions sociales.
Outre une bonne influence extérieure, la formation du libre-arbitre s’effectue aussi par l’usage propre du libre-arbitre lui-même. Progressivement, l’homme prend des décisions et se détermine lui-même, décide lui-même de son progrès intellectuel et moral, par l’étude et la pratique des vertus. Comme pour tout art, il faut un apprentissage avant de parvenir à la maîtrise de soi.
Un enfant présente-t-il des dispositions pour la musique, on lui donne un maître pour lui enseigner à jouer d’un instrument. Il acquerra ainsi une nouvelle liberté, celle de jouer d’un instrument de musique. Mais pour y parvenir il passera par des phases de difficultés, d’efforts, de contrainte, de discipline. Peut-être même ira-t-on parfois contre sa volonté personnelle pour lui imposer cet apprentissage. Sa liberté n’y aura-t-elle pas gagné ? On peut aussi mentionner l’étude d’une langue étrangère, qui accroît la liberté mais qui passe par des phases de contrainte.
Qui plus est, la parole libre présuppose la soumission aux règles de la grammaire et aux traditions du vocabulaire, sous peine de ne pas être compris ! Bien loin de s’opposer à une règle, à une loi, la liberté la présuppose !
Le libre-arbitre étant conjointement le fait de la raison et de la volonté[13], sa perfection requiert celle de ces deux facultés. Celui qui sait davantage est plus libre que celui qui ignore. Puis-je librement décider du lieu de mes vacances si j’ignore les régions où je pourrais me rendre ? Puis-je librement décider de mon avenir professionnel si je suis dans l’ignorance des métiers que je puis pratiquer ? Cela vaut aussi bien pour les grands principes de la vie morale et politique, que pour les questions les plus quotidiennes.
La connaissance spéculative ne suffit pas pour décider librement. En matière pratique, en effet, la conclusion ne s’impose pas nécessairement.
De plus, le fonctionnement impartial et serein de l’intelligence est souvent troublé par les passions, et c’est la volonté meut l’intellect pratique à la conclusion. C’est donc ici qu’intervient l’éducation morale, qui consiste moins à faire connaître le bien - c'est-à-dire répétons-le, les voies du bonheur - qu’à faire agir. Régir les passions, avoir la fermeté du caractère pour décider concrètement ce que l’on sait être bien, sans se donner des prétextes d’impossibilité, tout cela est l’œuvre de l’éducation morale. On pourrait prendre l’exemple de toutes les vertus, de toutes les qualités morales et intellectuelles. Elles accroissent le pouvoir de la personne, elles la rendent libre en de multiples circonstances et aspects de la vie humaine, elles présupposent une acquisition grâce à un effort personnel sous une autorité de contrôle. Et c’est là qu’intervient l’autorité.
Autorité et liberté ne sont pas contraires.
La liberté se perfectionne sous les actions conjointes et complémentaires de la personne et de l’autorité.
La conception de la liberté, comme pure indifférence et indétermination, abhorre l’autorité.
Autorité et liberté sont alors conçues comme deux contraires : plus il y a d’autorité, moins il y a de liberté. En revanche, l’autorité, correctement conçue, est le principe de développement et de perfectionnement de la liberté. Son rôle n’est pas de brimer le libre-arbitre, de prendre les décisions à la place du sujet qui lui est soumis, mais de le former, de le rendre capable de décider par lui-même, grâce à la formation intellectuelle et morale qu’il a reçue. Plus qu’un rapport de chef à subordonné, il faut voir entre autorité et liberté un rapport de maître à disciple.
[1] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica I, 62, a8, ad3.
[2] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica III, 34, a3, ad1.
[3] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica I, 63, a1, ad4.
[4] S.-T. Pinckaers OP, Les sources de la morale chrétienne, Fribourg, Éditions Universitaires, 1985/1993, p.364.
[5] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica I-II, 10, a1, ad1.
[6] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica I-II, 10, a1, ad1.
[7] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica III, 18, a3.
[8] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica III, 18, a4.
[8b] C’est ainsi que saint Thomas désigne ici la volonté de nature, car elle n’intervient réellement que dans l’ordre sensible.
[9] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica III, 18, a5.
[10] Cf. Saint Thomas d’Aquin, De Malo, 6.
[11] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica I-II, 10, a2.
[12] Cf. S.-T. Pinckaers OP, Les sources de la morale chrétienne, Fribourg, Éditions Universitaires, 1985/1993, pp.361-367.
[13] Voir ci-dessus : Le libre-arbitre relève de la raison et de la volonté.