Éthique sexuelle

Ce chapitre se situe dans le cadre de notre étude sur LA FAMILLE en philosophie.

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Nature humaine sexuée


Toutes les espèces animales, ainsi que beaucoup d’espèces végétales, sont sexuées. L’homme n’échappe pas à cette loi de la nature organique. La reproduction de l’espèce se fait par l’accouplement du mâle et de la femelle. Même si l’homme est un être rationnel, même s’il lui est possible d’utiliser des moyens artificiels ou de s’opposer aux conséquences naturelles de l’accouplement, la différence et la complémentarité sexuelles sont incontournables.
L’homme peut utiliser, détourner, forcer la nature à ses propres fins, mais il ne peut pas la changer. Un cerisier ne peut donner que des cerises. De même, l’accouplement a pour fin naturelle la reproduction de l'espèce. C’est ce que l’on appelle : procréation. Les corps sont ainsi constitués. Ceci vaut pour tous les animaux, y compris pour l’homme. L’instinct de reproduction est capital pour la permanence de l’espèce. Il est donc très fort, et l’accouplement est accompagné d’une jouissance sensible extrême.

Si l’homme n’échappe pas à cette vie animale, sa nature rationnelle y entraîne cependant quelques modifications. L’accouplement est conscient et relève d’une décision libre. L’homme peut aussi déterminer les circonstances diverses de son acte.

L’accouplement peut donc relever des trois formes d’amitiés. Amitié utilitaire, lorsque, par exemple, un des partenaires en retire un gain d’argent. Amitié de jouissance, lorsque aucune valeur spirituelle n’y est liée, pas même, en particulier, le don de la nouvelle vie humaine qui en découle naturellement. Amitié plus noble, enfin, lorsque au moins le terme naturel de la procréation est envisagé. En ce cas, en effet, l’amour d’amitié a pour objet, aimé en commun, la vie d’un nouvel être humain.

Notons toutefois, que, même en cas d’infécondité, il peut y avoir un amour d’amitié portant sur des valeurs supérieures. Les époux s’expriment alors de manière physique leur amour d’amitié. Là encore amitié de jouissance et amitié honnête ne sont pas séparées ni incompatibles. L’âme et le corps humains ne sont pas séparés. La vie spirituelle ou rationnelle n’est pas séparée de la vie corporelle, psychique et affective, et la dimension sensible et sexuelle de l’homme ne peut être ignorée.


Ceci entraîne une autre conséquence très importante. La différence sexuelle, qui est radicalement corporelle, a aussi une dimension psychologique, affective et même intellectuelle.
L’âme humaine - et donc l’ensemble de ses facultés rationnelles - est ‘incarnée’ dans un corps. Les propriétés corporelles entraînent des propriétés ou caractéristiques psychologiques et rationnelles. L’homme n’est pas un ange. Homme et femme ont des propriétés psychologiques différentes, des tempéraments différents. La différence sexuelle est d’origine proprement animale. Elle n’est pas le fruit des coutumes sociales. Les conséquences corporelles, psychologiques et même rationnelles sont inéluctables, même si elles sont diversifiées et éventuellement modifiées par l’éducation et les circonstances de la vie. Sans entrer ici dans des considérations qui relèveraient de la politique ou de l’économie[1], on peut déjà pressentir les conséquences de la différence sexuelle dans la structure de la famille.
Les principes étant posés nous allons pouvoir maintenant répondre à des questions plus actuelles.


Rapport entre personnes de même sexe ?


Qu’une amitié honnête, noble (au sens où nous l’avons définie plus haut) puisse exister entre personnes de même sexe, ceci est incontestable. L’expérience le montre, et dans cette amitié la différence ou similitude sexuelle n’intervient pas.

Que cette amitié honnête puisse aller jusqu’à la convivence permanente, là encore l’expérience le montre (exemple : les communautés religieuses), et a priori, rien ne s’y oppose.
Mais si cette convivence - ou même une amitié de rencontre - entraîne des actes intimes qui sont propres à la vie corporelle, autrement dit où l’activité sexuelle entre en jeu, immédiatement ou même par simple disposition (familiarité), alors il y a difficulté. L’attirance et la complémentarité sexuelle sont en effet ordonnées par nature à la procréation. Dans ce cas, radicalement, la procréation est impossible. L’acte est absolument contraire à l’ordre de la nature. Cette action contre-nature a forcément des conséquences graves et particulièrement nocives dans le domaine proprement humain. De même que l’ingestion d’une nourriture empoisonnée entraîne la mort, de même, l’accouplement contre-nature détruit l’homme tout entier.

La différence est que les conséquences ne sont pas immédiates. Elles peuvent ne pas nuire directement aux organes corporels, mais elles nuisent, à plus ou moins long terme, et grièvement, au psychisme et aux facultés rationnelles, qui, nous l’avons vu, ne sont pas séparés du corps. Dans la jeunesse ou à l’âge de l’adolescence, les conséquences les plus graves n’apparaissent pas forcément, tout semble aller à peu près bien. Qu’en sera-t-il vingt ans plus tard ?


Conséquences sociales


Le désordre psychologique qu’implique un tel rapport contre-nature comporte forcément des conséquences sociales, et pour peu que le mauvais exemple et la réclame s’en mêlent, il entraîne sans tarder une déstabilisation, une agression contre les familles.
La moralité privée n’est pas du domaine de l’État, mais, en l’occurrence, c’est le bien public qui est cause. L’État qui autorise publiquement ce genre de pratique se met en péril politique. La complémentarité, tant physique que psychologique, des sexes n’étant plus assurée, la communauté ‘pseudo-familiale’ ainsi formée est proprement contre-nature, et un tel couple est radicalement incapable d’assurer l’éducation des enfants.
En outre ce genre de vie commune est principalement jouisseur, et donc instable. Qu’en sera-t-il de la stabilité requise pour l’éducation globale d’un enfant, c’est-à-dire impliquant le développement physique, psychologique et intellectuel, lorsqu’il doit grandir au sein d’un tel couple ?

Les perturbations sociales ne font alors que commencer.

On objectera que certains tempéraments sont ainsi ‘configurés’. Nous répondrons que, cette tendance étant contre-nature, il s’agit objectivement d’une déviation, d’un dysfonctionnement, comme d’une maladie. Ce n’est pas aider les malades que de les renforcer dans leur maladie. La sollicitude de la famille, de l’Église, et, éventuellement, d’autres sociétés, peut et doit les aider à surmonter leur handicap ; mais ce n’est certainement pas les aider que de les encourager à une persévérance dans l’égarement qui à terme, les conduira à la ruine spirituelle, psychologique, physique et même économique.


Accouplement et procréation en dehors de la famille


L’accouplement et la procréation en dehors de la famille peuvent se produire selon deux modes :
- copulation naturelle d’un conjoint avec un partenaire qui n’est pas son conjoint ;
- fécondation artificielle à l’aide d’un partenaire étranger à la famille.

Dans les deux cas, voici qu’un enfant se trouve dans une ‘famille’ dont au moins l’un des conjoints n’est pas physiquement son principe. Il y a là une évidente contradiction entre la communauté physique et la communauté affective et sociale. Esprit, âme et corps ne sont pas des entités séparées. L’homme n’a qu’une seule vie qui est à la fois corporelle, affective et rationnelle. Cela vaut pour la communauté familiale comme pour les autres aspects de la vie humaine.

Ceci existe aussi dans le cas de l’adoption. Mais alors on supplée à une carence ou à l’absence de la famille d’origine. Les liens de paternité/maternité physiques sont en quelque sorte compensés par ceux d’une amitié plus forte. Les difficultés d’une telle compensation sont patentes, et les réussites ne peuvent servir de prétexte pour provoquer délibérément une situation de déséquilibre.


Obstacles à la procréation - Avortement


L’homme peut s’opposer à la conséquence naturelle de l’accouplement de diverses manières.

Une première manière est de choisir de limiter l’accouplement aux périodes d’infécondité. En ce cas, il n’y a pas directement de cause s’opposant au déroulement naturel de l’acte conjugal. Cette pratique n’a donc de soi rien de contraire à la nature.

Le mode actuel le plus fréquent de limitation des naissances est la contraception. Cette fois il y a une action directe contre le déroulement ou les conséquences naturels de l’acte. Une telle opposition à la nature ne peut pas ne pas entraîner de graves conséquences physiques, psychologiques et morales. Là encore, les conséquences nocives n’apparaissent pas tout de suite. Le couple dont la vie conjugale comporte habituellement ce genre de pratique contre-nature se fragilise peu à peu. L’amitié de jouissance tend à l’emporter sur l’amitié honnête, alors que la continence conjugale donne la primauté à l’amitié la plus noble, et par là, renforce l’unité du couple sur les valeurs supérieures et permanentes.

L’avortement, outre qu’il comporte probablement - et même certainement à partir d’un certain stade - un meurtre, est d’abord une agression directe contre un processus de la nature. De graves conséquences apparaissent, là encore, tôt ou tard dans la vie des personnes et du couple.

Dans les deux cas – contraception et avortement – l’État qui a pour charge de protéger la famille et les personnes s’auto-détruit en promouvant ces pratiques. Elles vont de pair avec la primauté de la jouissance sur l’amitié entre les membres de la Cité, et avec la dégradation morale générale.
Si l’amitié honnête n’a plus cours dans les familles, l’unité du corps social dans son ensemble est en péril, car cette unité repose précisément sur l’amitié [2]. Voilà pourquoi ces questions de morale conjugale ne sont pas seulement du ressort de la conscience personnelle et de l’Église, mais encore de la vie publique et de l’État.

L’homme est maître de la vie des animaux qui sont à son service. Il peut donc, de soi, intervenir dans le domaine de leur procréation – ce qui ne signifie pas qu’il puisse en agir totalement à son gré, sans respecter les lois et finalités inscrites dans la nature. Mais une part plus large d’initiative lui est laissée en cette matière, dès lors qu’il porte la responsabilité de l’équilibre écologique de son environnement.
En revanche, s’il intervient directement sur sa propre procréation, il met en péril son existence, sa civilisation et l’équilibre général de la société humaine, dont il n’est jamais maître absolu.


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[1] Au sens aristotélicien de morale familiale ou domestique.
[2] Aristote, Éthique, VIII ; cf. lectio 1, n. 1542 dans le commentatire de saint Thomas ; lectio 9 ; Politique, VII, lectio 8-9 dans le commentaire qui succède à celui de saint Thomas.